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les conditions qui favorisent leur activité sont réunies et notamment pendant les automnes chauds et humides ; or, à ce moment, les terres qui ont porté du blé sont découvertes, et les nitrates qui s’y forment, entraînés par les eaux dans les profondeurs du sous-sol, y filtrent aisément sans être retenus ; ils gagnent les ruisseaux, les rivières et l’Océan, et la terre s’appauvrit. C’est précisément pour éviter ces déperditions que je prône depuis plusieurs années les cultures dérobées d’automne, qui, rejetant dans l’atmosphère par leur transpiration les eaux de la pluie, dessèchent le sol, retardent la nitrification et diminuent, à la fois, la fraction des eaux tombées qui gagnent les drains et la formation des nitrates qu’elles entraînent.

Le chaulage, le marnage, sources de prospérité, peuvent donc être aussi à la longue une cause d’appauvrissement. Sans calcaire la terre ne donne pas de nitrates ; la transformation de la matière azotée s’arrête à l’ammoniaque et celle-ci ne se perd pas ; elle persiste dans le sol, on ne la trouve pas dans les eaux de drainage ; elle n’a pas la mobilité des nitrates, et l’épuisement ne se produit pas. Si le chaulage y contribue, ce n’est pas qu’il produise la décomposition de toute la matière azotée de la terre : Boussingault nous a montré qu’il ne provoque l’apparition que de faibles quantités d’ammoniaque, et M. André récemment n’a pas trouvé que la marne en produisît ; cette première transformation de la partie la plus attaquable de la matière azotée de la terre se fait sous l’influence des fermens oxydans, et rien ne démontre jusqu’à présent que les amendemens calcaires favorisent cette première action ; mais ils provoquent la transformation de l’ammoniaque une fois formée, en une substance assimilable ou entraînable ; dans une terre calcaire, toute l’ammoniaque formée est utilisée ou perdue, car elle est rapidement nitrifiée ; dans une terre non calcaire, elle est médiocrement utilisée, mais si elle ne l’est pas, elle persiste dans le sol.

C’est sans doute ainsi qu’il faut concevoir les dictons qui mettent en garde contre les abus du chaulage : « la chaux enrichit le père et ruine les enfans », ou encore :


Qui chaule sans fumer,
Se ruine sans y penser.


L’emploi de la chaux est dangereux, parce qu’il donne à la petite fraction de la matière azotée qui, après avoir été attaquée par