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III. — LE CHAULAGE ET LA CULTURE DES LÉGUMINEUSES

Si, malgré l’emploi sans cesse croissant d’engrais commerciaux, le fumier de ferme reste la base de nos fumures, son abondance avait encore plus d’importance naguère, quand il devait seul soutenir nos récoltes. Sa production dépend naturellement du nombre des animaux entretenus et celui-ci de la quantité des fourrages disponibles. Pendant des siècles, le bétail n’a vécu que de l’herbe des prairies naturelles, à laquelle la paille des céréales apportait un maigre appoint. Or, la prairie de graminées, surtout formée de plantes à courtes racines, ne prospère que là où l’eau est abondante dans les couches superficielles ; elle ne s’établit avantageusement que dans les vallées, et les cultivateurs des plateaux ont souffert longtemps de la pénurie des fourrages, entraînant la parcimonie des fumures.

Ces conditions fâcheuses ne disparurent qu’à la fin du XVIIIe siècle, quand, peu à peu, on consacra aux prairies artificielles des surfaces de plus en plus étendues ; la luzerne, le trèfle, le sainfoin qui les composent, portent des racines assez longues pour aller puiser dans les profondeurs du sous-sol l’eau qui y fait rarement défaut. Dès lors, les ressources fourragères devinrent abondantes, même dans les exploitations qui ne possédaient pas de prairies naturelles ; en effet un hectare de prairie artificielle fournit annuellement de 5 à 10 tonnes de foin, très nutritif ; les animaux devinrent plus nombreux, les fumures plus copieuses, et les rendemens s’élevèrent.

Ce n’est pas seulement, au reste, parce que les légumineuses des prairies artificielles fournissent au bétail un aliment substantiel que leur extension a donné à l’agriculture européenne une puissance de production qu’elle n’avait jamais connue, c’est, en outre, parce que les légumineuses méritent absolument le nom de plantes améliorantes que les cultivateurs leur ont donné depuis longtemps. Ils ont reconnu qu’après le défrichement d’une prairie artificielle on obtenait, sans nouvelle fumure, une et même deux récoltes de céréales. Au commencement du XVIIe siècle, Olivier de Serres écrivait déjà, en parlant du sainfoin, qu’il nomme esparcette comme on le fait encore dans le midi de la France : « L’esparcette vient gaiement en terre maigre, et laisse certaine vertu engraissante, à l’utilité des bleds qui ensuite y sont semés. »