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Le carbonate de potasse contenu dans le fumier maintient aussi l’acide phosphorique en dissolution et rend souvent inutile l’acquisition des superphosphates ; c’est ainsi qu’au champ d’expériences de Grignon, où nous fumons copieusement, ils n’exercent pas d’action sensible, mais si on cesse de répandre du fumier de ferme, l’acide phosphorique du sol devient inerte et les superphosphates montrent alors une admirable efficacité. Quelques-unes des parcelles du champ d’expériences sont restées sans engrais depuis 1875, époque à laquelle ont commencé les observations ; or, il y a quelques années, les récoltes baissèrent sur ces parcelles. A l’analyse, on reconnut que la proportion d’humus avait beaucoup diminué et je pensai qu’il fallait attribuer à sa disparition l’affaiblissement des rendemens ; toutefois, pour être certain qu’aucune autre cause n’était intervenue, je répandis sur la moitié d’une parcelle garnie d’un maigre trèfle, du superphosphate de chaux ; l’effet ne fut pas sensible et je ne songeais plus guère à cette addition, quand l’année suivante, elle exerça une influence extraordinaire sur un blé qui avait succédé au trèfle[1]. En calculant à l’hectare, on recueillit, sur la partie qui n’avait pas été phosphatée, 8 quintaux de grains et 24 quintaux sur celle qui avait reçu le superphosphate.

A l’analyse, la portion restée sans addition accusa encore 1 gramme d’acide phosphorique par kilogramme, mais les acides faibles ne dissolvaient rien ; l’acide phosphorique avait pris cette forme qui lui enlève toute utilité. Ainsi quand les amendemens calcaires, ou le carbonate de potasse du fumier, ne le ramènent pas à l’état de combinaison soluble, il faut faire intervenir les engrais phosphatés.

En résumé, pour que les racines puissent s’emparer des phosphates, il faut que ceux-ci présentent cette forme gélatineuse sous laquelle ils sont facilement solubles dans l’eau aiguisée d’acide faible ; l’acide phosphorique soluble des superphosphates, saturé par les bases du sol, y arrive rapidement, de là son efficacité. Peu à peu, cependant, dans une terre abandonnée à elle-même, l’assimilabilité disparaît, les phosphates deviennent inertes, et ne sont utilisables de nouveau que sous l’influence d’une action extérieure, sous celle du carbonate de potasse du fumier, sous celle du carbonate de chaux de la marne, ou de la

  1. On a pris une photographie de cette parcelle ; elle est reproduite dans mon Traité de Chimie agricole, p. 420.