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Le télégramme du général Pourcet me parvint à dix heures du soir ; les réfugiés devaient arriver dans la matinée du lendemain. On sait que les réfugiés militaires, une fois désarmés par l’autorité militaire, sont à la charge et à la disposition de l’autorité civile. Dans la nuit, je fis commander des fournées supplémentaires chez tous les boulangers de la ville, acheter des salaisons, et préparer les vastes locaux de l’arsenal maritime désaffecté. Lorsque les colonnes de réfugiés arrivèrent, tout était prêt pour les recevoir. Ces braves gens venaient de faire cent vingt kilomètres à pied et le ventre creux. Ils n’en marchaient pas moins en très bon ordre et d’un pas alerte, scandant leur marche du chant national des Basques : Guernicaco Arbola, bien équipés d’ailleurs et l’air martial sous leurs bérets aux couleurs variées, suivant les corps auxquels ils appartenaient. On ne pouvait s’empêcher d’admirer leur endurance physique et morale.

En entrant dans l’arsenal, les soldats défilaient devant des tables où on leur distribuait leur ration de vivres. On les comptait ensuite comme des moutons et on les enfermait, par groupes de cinq ou six cents, dans des magasins pourvus de paille de couchage. Quelques heures après, ils en étaient extraits, conduits à la gare par un peloton d’infanterie, et montaient dans un train qui les emmenait au lieu de leur internement, que je désignais. Grâce à l’activité déployée par la Compagnie du Midi, ils purent être tous acheminés vers leur destination en moins de vingt-quatre heures. Je leur dois d’ailleurs cette justice que tous sans exception se montrèrent soumis, disciplinés et reconnaissans des bons traitemens dont ils étaient l’objet.

Les officiers étaient libres de prendre la ration des soldats ou d’aller chercher leur nourriture en ville. Ils devaient être internés individuellement. Les officiers asturiens furent les seuls qui demandèrent à partager jusqu’au bout le sort de leurs soldats.

Comme j’entrais à l’arsenal dans la journée, un gamin d’une dizaine d’années était en grande discussion avec le factionnaire qui ne voulait pas le laisser sortir et qui lui riait au nez, lorsqu’il arguait de sa qualité d’officier. Il l’était cependant, ayant le grade d’alferez. C’était le fils d’un officier carliste tué en combattant. Les femmes de la halle de Bayonne recueillirent cet intéressant orphelin et l’adoptèrent.

J’eus moins à me louer des officiers que des soldats. Ils m’assassinaient de leurs réclamations, chacun prétendant être interné