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on me remerciait : « C’est, ajouta-t-on, de l’avoir empêché de s’arrêter à Pau : il voulait venir demander de l’argent à sa bru. »

Beaucoup d’autres princes étrangers fréquentaient Biarritz, pendant la belle saison. Il me souvient d’avoir rendu visite à quatorze Altesses impériales ou royales dans une seule journée. Ces princes en vacances m’occasionnaient parfois de singuliers embarras. C’est ainsi que, certain soir de fête, de la portière d’un wagon réservé où j’avais donné asile à un préfet en villégiature et à sa femme, j’aperçus, au milieu de la foule qui assiégeait le train, deux jeunes princes impériaux en train de se colleter avec des employés de la gare. Pour prévenir un scandale, je me hâtai d’offrir aux princes place dans mon compartiment. Ils acceptèrent en me remerciant. Malheureusement ils n’étaient pas seuls, une jeune dame fort émancipée les accompagnait, et, à peine montés en wagon, une des deux Altesses, visiblement émue par un dîner trop bien arrosé, se permit avec elle les plus étranges privautés. Sur quoi, madame la Préfète, que je n’avais pas eu le temps d’informer de la qualité des nouveaux venus, monte sur ses grands chevaux et me reproche d’une voix suraiguë d’avoir introduit dans le wagon des malotrus, des gens sans mœurs et sans éducation, etc., etc. Le train n’était pas encore en marche. Je saute, affolé, sur le trottoir et, prenant au collet le chef de gare, le contrains d’ajouter un wagon, dans lequel je m’empresse de caser mes deux princes. Ainsi finit le drame.


V

Depuis l’avènement d’Alphonse XII, les affaires de Don Carlos n’avaient pas prospéré. Tandis qu’il continuait à perdre son temps dans le Nord, à canonner inutilement les villes ouvertes, l’armée espagnole se réorganisait rapidement, et, sous la main habile et ferme de M. Canovas, l’ordre renaissait dans tout le royaume. Une dernière chance s’offrit au prétendant.

Le chemin de fer du Nord de l’Espagne ne fonctionnait plus, depuis plusieurs années, dans les provinces occupées par les carlistes. Les communications par voie ferrée avec la France étaient coupées. C’était une perte énorme pour la Compagnie du Nord-Espagne. Cette compagnie, dans laquelle étaient engagés beaucoup d’intérêts français, demandait avec instances qu’un modus vivendi intervenant entre les belligérans lui permît de faire