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vie extérieure, ils donnaient à la ville une animation extraordinaire. Leurs séduisantes filles, aux yeux de flamme, à la démarche ondulante, embellissaient les magnifiques promenades des Glacis et des Allées marines. Quelques-unes d’entre elles, et non des moins jolies, se faisaient remarquer par la corde qui ceignait leur taille et par le scapulaire piqué sur leur corsage : celles-là avaient fait un vœu pour qu’un frère, un amant échappât aux dangers de la guerre. Les hommes, coiffés du béret ou du sombrero et drapés dans leurs capes, arpentaient du matin au soir la place de la Liberté et la place d’Armes, en discourant de politique avec de grands gestes. Les hôtels ne désemplissaient pas de voyageurs arrivant d’Espagne et désireux de se délasser de la traversée, de touristes curieux de voir un coin du théâtre de la guerre. On allait en partie de plaisir pousser une pointe en pays carliste, assister à une escarmouche sur les bords de la Bidassoa, visiter les fortifications des alphonsistes et des carlistes. Les officiers des deux partis faisaient avec empressement les honneurs de leurs batteries aux belles visiteuses. Ils ne manquaient pas de leur offrir galamment de tirer le canon en leur honneur. On pointait une pièce sur un but à bonne portée, les dames se bouchaient les oreilles, et le coup partait, atteignant l’ennemi, s’il était en vue, ou, à défaut, le point visé. En face et à trois kilomètres des batteries alphonsistes de San Marcos, s’élevait une belle villa appartenant à un sénateur très dévoué au roi Alphonse. Pour son malheur, cette villa, resplendissante de blancheur, offrait aux artilleurs de San Marcos un but des plus commodes. Elle fut criblée de projectiles, trouée comme une écumoire, pour le seul plaisir de faire parler la poudre devant les belles dames et de leur montrer la justesse du tir.

Biarritz avait ses hôtes princiers habituels, les grands-ducs de Russie, le roi de Hanovre et sa fille, etc. Quelle noble et intéressante figure que celle de ce vieux roi aveugle, dépouillé de ses États et de ses biens par la plus injuste violence ! Seul de tous les souverains allemands, il avait résisté les armes à la main à l’ambition de la Prusse. Tout aveugle qu’il était, il avait voulu accompagner ses soldats au feu. Et, comme ses aides de camp profitaient de son infirmité pour l’éloigner du fort du combat : « Conduisez-moi plus avant, avait-il commandé, je veux entendre siffler les balles. »

Chaque année, le roi venait passer trois ou quatre mois à