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revaudrai ce service. En attendant je vais vous donner un reçu…

Mais lui, m’interrompant :

— Fi donc ! Entre caballeros, on n’a pas besoin de reçu.

Cette façon de justifier ses dépenses d’un homme qui avait le maniement de deux millions me laissa rêveur. Je dois à la vérité de reconnaître que ce paiement se régularisa par la suite, mais ce fut sur mes instances et parce que, avec mes préjugés français, il ne me convenait pas qu’il en fût autrement.


IV

Mes relations avec le consul d’Espagne n’étaient pas toujours aussi agréables. Souvent, trop souvent, j’avais à me défendre contre les accusations injustifiées qu’il portait contre nos fonctionnaires, tous vendus aux carlistes, d’après lui. Ces accusations se reproduisaient avec une régularité d’horloge le premier de chaque mois. Elles étaient suggérées au consul par ses agens secrets. Il avait le tort de les rémunérer par des appointemens fixes, d’où il résultait que, lorsque, après avoir flâné tout le long du mois, ils venaient, le 31, chercher leurs mensualités dans ses bureaux, pour éviter d’être cassés aux gages comme inutiles, ils débitaient les plus sottes inventions. Je payais mes renseignemens à la pièce et j’étais beaucoup mieux servi.

Mais ce n’étaient pas seulement les agens espagnols qui inventaient des griefs contre l’administration française ; les Allemands s’y employaient d’une façon plus perfide et plus dangereuse encore. Le consul d’Allemagne avait, lui aussi, sa police secrète ; il exploitait habilement les indications qu’elle lui fournissait pour nous représenter aux Espagnols comme pactisant sous-main avec les carlistes. Nos plus grandes difficultés n’avaient pas d’autre origine. Parmi les agens allemands, il en était un qui nous était tout particulièrement incommode. Sans cesse en mouvement, changeant continuellement de nom et de déguisement, son passage sur les divers points de la frontière coïncidait toujours avec les récriminations les plus acrimonieuses du consul d’Espagne. Je cherchai longtemps le moyen de m’en débarrasser. J’y réussis enfin, et ce fut un petit succès qui me donna grande satisfaction.

Un beau jour, lorsque je me crus suffisamment armé, je fis cueillir au saut du lit et conduire devant moi le personnage en