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jeter à la mer. Irun et Fontarabie du côté de l’Espagne, Béhobie et Hendaye du côté de la France, décorent ses rives verdoyantes. Les majestueuses cimes des Pyrénées espagnoles forment le fond du tableau. Quelque temps avant mon arrivée, le fracas des armes était venu troubler la sérénité de ce beau paysage. Don Carlos avait mis le siège devant Irun. Ses batteries, établies sur les hauteurs de San Marcos, foudroyèrent la ville pendant trois jours. De Bayonne, de Biarritz, de Saint-Jean-de-Luz, une multitude de curieux était accourue pour assister à ce spectacle peu commun. Par une délicate attention, le feu ne commençait, chaque matin, qu’après l’arrivée du premier train de Bayonne. Après trois jours de bombardement, Irun était en miettes. La garnison, réfugiée sous les voûtes de l’église, attendait impatiemment qu’on lui fît sommation de se rendre, lorsque, à la stupéfaction générale, Don Carlos leva le siège et rentra tranquillement à Vera.

Quelques jours après, un corps d’armée alphonsiste, envoyé au secours d’Irun, arrivait à marches forcées. Le général qui le commandait se mit à la poursuite des carlistes, sur la route de Vera. Il parvint aux portes de la ville, que les carlistes avaient évacuée précipitamment. On aurait pu croire qu’il allait profiter de l’occasion pour détruire sans coup férir les arsenaux, les fonderies, les cartoucheries réunis dans la ville. Point du tout : il tourna bride et revint à Irun sans être entré à Vera.

Tandis que les alphonsistes occupaient la tête de pont de Béhobie, nous étions en contact avec les carlistes au passage de Dancharia. Ce dernier point était l’un de ceux qui nécessitaient la plus active surveillance. Il était distant de 20 kilomètres d’Espelette, où s’arrêtaient les fils du télégraphe. Croirait-on que, plutôt que de construire ce tronçon de ligne, le gouvernement français a entretenu pendant cinq ans à Espelette un escadron de cavalerie pour faire le service d’estafettes entre Espelette et la frontière ?

Comme agens directs, l’administration n’avait à sa disposition que deux commissaires de police à Bayonne, quatre commissaires spéciaux à Aïnhoà, à Biarritz, à Saint-Jean-de-Luz, à Hendaye, et quelques inspecteurs de police. C’était très insuffisant. Le commissaire d’Hendaye, M. Roumagnac, occupait ce poste depuis trente ans. Selon les vicissitudes de la politique, il avait arrêté tour à tour tous les personnages politiques de l’Espagne. Comme je passais un jour à Hendaye avec le marquis de Bedmar, sénateur