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A l’époque où j’y fus nommé par M. Buffet, la sous-préfecture de Bayonne était très enviée. Bayonne est en tout temps une résidence très agréable, dont le voisinage de Biarritz double le charme. Le pays est l’un des plus beaux du monde, l’administration y est très facile. Les populations basques, qui peuplent presque exclusivement l’arrondissement, sont honnêtes, morales, et respectueuses de l’autorité. En outre, la ville est le siège de l’évêché, de la division militaire et de la subdivision, de la direction des douanes et de celle des travaux maritimes, ce qui rehausse d’autant l’importance de la sous-préfecture. Au temps dont je parle, cette importance était singulièrement accrue par le rôle que le sous-préfet était appelé à jouer dans les affaires de la frontière. Toutes ces affaires passaient nécessairement par ses mains. C’est par lui que le gouvernement était renseigné sur ce qui arrivait ; c’est à lui qu’était confiée en dernier ressort l’exécution des ordres du gouvernement. Aussi était-il autorisé à correspondre directement avec les ministres. En matière de sûreté générale, il avait des attributions et des allocations spéciales. Enfin la présence dans le pays d’au moins dix mille réfugiés espagnols, la nécessité où étaient tous les voyageurs venant d’Espagne ou s’y rendant de rompre charge à Bayonne, donnaient à la ville une animation extraordinaire.

Toute médaille a son revers. Les avantages que je viens d’énumérer étaient chèrement achetés par les difficultés et les dangers de la position. Le sous-préfet de Bayonne n’avait pas à se dissimuler qu’il était toujours exposé à être offert en holocauste au gouvernement espagnol. Placé entre les instructions qu’on formule et les intentions qu’on laisse deviner, il lui était souvent malaisé de servir le gouvernement sans lui déplaire. Il devait enfin résoudre, souvent au pied levé, des questions de droit international obscures et difficiles.

Le préfet du département des Basses-Pyrénées était alors le marquis de Nadaillac, excellent homme, avec qui je n’ai jamais cessé d’avoir les meilleures relations. M. de Nadaillac était à Pau depuis plus de quatre ans. Fort apprécié de ses administrés, il avait déjà une longue expérience des questions espagnoles. Les carlistes l’accusaient d’être pour les libéraux, les libéraux d’être avec les carlistes, ce qui prouvait bien qu’il n’était ni avec les uns, ni avec les autres. Les libéraux surtout prenaient ombrage de ses relations naturelles avec les légitimistes. Ils l’attaquaient sans cesse dans leurs journaux et ne se lassaient pas de demander