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suis à terre. Et c’est dans ces conditions que vous travaillez à me renverser ! Ce n’est guère généreux.

— Mais, monsieur le maréchal, repartit l’ambassadeur, je ne travaille pas à vous renverser. Il est vrai que je n’affiche pas de sympathies pour votre gouvernement. Le puis-je, alors qu’il se montre aussi désagréable que possible pour le pays que je représente ? » Ce fut au tour du maréchal de se justifier. On entra en explications. M. Sagasta, président du Conseil, fut mandé, et la conversation, commencée sur un ton mélodramatique, s’acheva dans les termes les plus amicaux. Au cours de cette conversation, le maréchal annonça l’intention de partir pour aller prendre le commandement de l’armée du Nord, qui opérait contre les carlistes. « Prenez garde, objecta l’ambassadeur, dans les circonstances que vous faisiez connaître tout à l’heure, il est bien dangereux de quitter Madrid. — Je le sais, répondit le maréchal, mais je ne puis faire autrement. On me dit que ce n’est qu’à l’armée que je puis retrouver le prestige et la force dont j’ai besoin pour me soutenir. »

Les salons de la Présidence étaient en émoi depuis l’entrée de M. de Chaudordy, et surtout depuis qu’on avait vu le maréchal s’enfermer avec lui. Grande fut la stupéfaction, lorsqu’on vit les deux éminens personnages reparaître sourians et les meilleurs amis du monde. La duchesse ne désarma pas pourtant. Quelques instans après, elle présentait l’ambassadeur à sa mère en ces termes : « Te presento el Embajador de Francia, que esta Alfonsino. »

Le maréchal Serrano partit pour l’armée du Nord, sur les conseils maladroits du comte de Halzfeld. En quittant la capitale, il confia solennellement au général Primo de Rivera, capitaine général de Madrid, le sort de son gouvernement, de sa femme et de ses enfans. Les alphonsistes n’eurent garde de laisser échapper l’occasion que leur offrait l’absence du chef du pouvoir. Le général Martinez Campos, se dérobant aux recherches de la police qui avait ordre de l’arrêter, sortit de Madrid sous un déguisement, portant à la main une valise dans laquelle il avait enfermé son uniforme, et prit le train pour Sagonte à l’une des stations voisines. Le lendemain, il se présentait en tenue devant la brigade Daban, la haranguait et proclamait le roi Alphonse XII. Les soldats l’acclamèrent, et toute l’armée du Centre suivit le mouvement.

En apprenant le pronunciamiento de Sagonte, les ministres de Serrano éprouvèrent des alarmes bien justifiées. Leur premier