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de l’Aragon et poussaient des pointes jusque dans le royaume de Valence, lui-même s’emparait successivement de la plus grande partie de la Navarre et des trois provinces basques. Ces provinces lui étaient toutes dévouées, parce qu’il leur avait promis, par son manifeste du 16 juillet 1872, de leur rendre les antiques franchises qu’elles désignent sous le nom de Fueros. Elles lui fournissaient d’excellens soldats et des subsides importans. Les défections de l’armée libérale avaient considérablement grossi ses effectifs. Sur les chances de succès qui se dessinaient en sa faveur et sur la succession future de son oncle le duc de Modène, dont on le croyait le principal héritier, il avait pu emprunter en Angleterre plusieurs millions, qui lui avaient permis de se procurer d’excellens canons Withworth, que de hardis marins anglais avaient débarqués sur la partie de la côte de Biscaye qu’il occupait.

Si Don Carlos avait marché sur Madrid au moment où l’Espagne était en proie à la république, il y serait certainement arrivé, et peut-être aujourd’hui régnerait-il encore sur toutes les Espagnes. Le gouvernement républicain n’avait pas d’année sérieuse à lui opposer. Les populations, terrorisées par les révoltes du Midi, où les pires démagogues s’étaient alliés aux forçats pour tenter d’inaugurer le règne de la terreur, l’auraient accueilli comme un sauveur. J’en ai recueilli l’aveu d’un témoin irrécusable, M. Canovas del Castillo. « Je n’ai jamais eu le moindre penchant pour les carlistes, me disait, en 1877, le premier ministre d’Alphonse XII, mais j’aurais béni Don Carlos, et je l’aurais aidé de tout mon pouvoir, s’il nous avait délivrés en 1873 de la crainte d’une seconde Commune. » C’est au cours d’une réception ouverte au palais de la rue d’Alcala que M. Canovas me tenait ce langage, devant deux ministres qui opinaient du bonnet, M. Manuel Silvela et M. Romero Robledo.

Don Carlos iut-il impuissant à vaincre les résistances de ses soldats, qui répugnaient à quitter leurs montagnes natales pour se lancer dans les plaines du centre de l’Espagne ; s’endormit-il, comme on l’en a accusé, dans les faciles jouissances de sa royauté provinciale ? Je ne saurais le dire. Ce qui est certain, c’est qu’il ne marcha pas sur la capitale et qu’il s’éternisa à guerroyer dans les provinces du nord. Et c’est ainsi qu’il perdit l’occasion d’acquérir la couronne d’Espagne.

Cependant la révolution espagnole poursuivait son cours. Le 3 janvier 1874, Pavia balaya la république, à laquelle se substitua