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ouvrages où il trace avec tant de complaisance le tableau d’une vie complète, vraiment heureuse, vraiment digne de l’homme, ce qu’il en retient, c’est qu’elle a des principes d’une consistance absolue, et une action souple et variée. Ailleurs il parle avec éloquence de l’action créatrice, conservatrice, vivificatrice de Dieu. « Dieu est le premier agent et son action est principale et incessante, pour susciter l’action humaine, non pour l’anéantir » : à nous de la recevoir et de la répandre ; à nous de la faire nôtre, de l’approprier à nos besoins, de l’appliquer au détail des choses selon notre génie propre[1]. Et quand il s’applique lui-même à ce détail, quand il cherche à définir l’action efficace et bienfaisante qui peut imprimer un élan au monde, l’action du christianisme, c’est toujours la même pensée qui l’inspire : l’Eglise sera un principe de conservation sociale parce qu’elle saura régler, stimuler, exciter la vie. C’est qu’étant solidement assise et heureusement mouvante, elle a le secret de la vie. Le monde troublé et inquiet se tourne vers elle et est près de lui dire : « A qui irons-nous ? vous avez les paroles de la vie éternelle. Vous rassurez et vous consolez ; vous raffermissez et vous faites marcher[2]. » Autant vaut dire, — et n’est-ce pas le fond de cet universel animisme ? — que la vie s’organisant, se réparant, se poursuivant d’un mouvement souple et régulier est l’unique nécessaire ; que tout se fonde sur elle ou se rapporte à elle, que la grande affaire dans l’ordre de la pensée et de la pratique est d’assurer la fécondité et la continuité de son action en écartant tout excès, en enrayant tout désordre, en prévenant toute déperdition. Vivre humainement et, pour cela, pourvoir aux conditions de la vie complète, voilà le grand impératif auquel nos convictions et nos démarches doivent docilement se subordonner.

Une telle philosophie n’avait donc qu’à se prolonger pour rejoindre le christianisme. Ce qu’il est permis de rappeler, c’est que cette conception du christianisme n’est pas une doctrine surajoutée à la philosophie de M. Ollé-Laprune, encore moins un système d’emprunt qui ferait violence au travail de la pensée et qui on compromettrait l’indépendance : c’est le but où tend naturellement une intelligence éprise de certitude et soucieuse d’accorder tout ensemble la raison et l’indépendance, la diversité et l’unité, la liberté du jugement individuel et l’autorité de la règle

  1. Ce qu’on va chercher à Rome.
  2. Ibid.