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l’homme sain d’esprit, sage, droit, bon, serait toujours compétent pour prononcer sur le vrai et le faux, sur le juste et l’injuste ; qu’avec sa science et sa vertu, il serait la mesure des choses, la règle de la spéculation et de la pratique. Par ces paroles, il a voulu dire, comme en effet il l’a dit ailleurs, que la compétence de chacun croît avec la sagesse et la bonté morale de chacun, c’est-à-dire avec la qualité de ses actions et de l’énergie qui s’y déploie. Et pourquoi ? Parce que, toujours conforme dans sa pensée et dans ses actes à l’éternelle vérité, il la laisserait en quelque sorte parler et agir en lui. C’était expressément revenir à cette idée que l’action, accessible à la plus profonde conscience, est une plus sûre révélatrice du vrai que ne le seraient les procédés rationnels, que l’absolue certitude est ailleurs : la réalité en est le principe, le cœur en est le siège.

Cette idée ne se retrouve pas seulement dans l’Essai sur la morale d’Aristote dont elle fait le fond ; elle inspire encore toute cette philosophie pratique dont M. Ollé-Laprune aime à tracer la vive esquisse ; elle en détermine les applications. Je ne peux pas le suivre dans les nombreux écrits où il a développé cette idée. Mais, soit qu’il fasse valoir le prix incomparable et l’incomparable sérieux de la vie, quand on la replace dans ses conditions normales et en face de ses fins[1] ; soit qu’il s’élève contre une philosophie brillante, neuve, engageante, mais qui est, malgré tout, inconsistante et frivole, parce qu’elle s’est plu à méconnaître la seule donnée morale essentielle, l’individu humain avec l’harmonie naturelle de ses puissances[2] ; soit enfin qu’il loue la virilité de l’intelligence et, qu’il attende le secret de l’amélioration sociale non d’un homme providentiel, mais de l’activité de chaque homme élevée et excitée par la vue de l’idéal chrétien[3], c’est toujours la même idée générale qui se retrouve : il faut savoir compter sur les ressources d’énergie qui restent dans le monde et qui, à certains momens, s’exaltent en un foyer moral intense pour constituer ce fonds de réserves auquel la volonté s’alimente. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est donc la suprême modération d’une volonté bien conduite, ce parfait équilibre de la raison, cette saine justice, cette harmonie en vertu de laquelle rien n’échappe et rien n’excède. Dans celui de ses

  1. Le Prix de la vie.
  2. La Philosophie et le Temps présent.
  3. De la Virilité intellectuelle.