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croyait que le cœur juge des principes, le cœur, c’est-à-dire ici l’acte personnel de l’esprit adhérant avec lumière et amour à ce qui dépasse, pour la fonder, toute démonstration. Et quand Vauvenargues écrit : « Les grandes pensées, » c’est-à-dire celles où se manifeste avec le plus d’éclat la nature humaine, « les grandes pensées viennent du cœur, » il signifie apparemment qu’il y a, au fond de chacun, comme un art capable de concevoir ces hautes pensées et de leur communiquer, selon son degré de vivacité première, plus ou moins d’éclat. Ainsi le cœur aurait une sorte de compréhension agile et fine, faite de souplesse et de force ; il serait l’intuition de ce qui ne se prouve pas, le pressentiment de ce qui est, le sentiment vif de ce qui doit être. Mais il serait encore, et par-dessus tout, un certain pouvoir d’expansion par lequel se crée en nous, en même temps que des convictions et des idées, l’expression individuelle, libre, abondante, des unes et des autres. L’aimer est l’office du cœur : c’est même parce que de tous les arts l’aimer est le plus personnel que l’individualité, qui a ses racines en lui, ne saurait, selon la pensée d’Aristote, devenir objet de science. C’est le fond et la substance du cœur et, en conséquence, de l’être moral que cette énergie insaisissable, artiste, capable d’aimer en qui, par un heureux tempérament, la lumière s’allie à la force.

Or, sans cette activité centrale où tendent de près ou de loin nos multiples pensées, ce qu’on nomme certitude ne serait pas. La certitude la plus haute serait celle chez qui le caractère rationnel ne parvient pas à dissimuler l’origine toute spirituelle. Une telle certitude n’est pas simplement l’issue logique d’une combinaison de nos idées ; il faut y voir le dernier terme d’une évolution personnelle, le fruit de nos convictions lentement élaborées, de nos expériences morales. Celui qui se refuserait à trouver dans le cœur la source première de ces croyances dont vit l’humanité et pour lesquelles elle meurt, celui-là s’exposerait à en méconnaître la qualité morale, et il ne saurait expliquer cette incomparable puissance d’expansion et de rayonnement qui leur est propre ; en même temps il perdrait de vue l’originalité du fait primitif, organique, vital, auquel la connaissance est suspendue et dont l’évidence rationnelle n’est qu’une pâle image. Pour M. Ollé-Laprune, au contraire, le vrai est avec la personne dans un perpétuel commerce : il estime que la seule unité morale, la seule valeur appréciable, c’est l’individu humain, avec ses besoins