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vie intérieure où se concentrent ses forces de rajeunissement et de fécondité. Or, ce que l’on découvre en se transportant ainsi à la première origine de la connaissance, c’est un fait primitif, non pas réduit à la stérile et vaine appréhension d’apparences et de formes, mais embrassant les choses réelles : « L’analyse de ce fait primitif nous enseigne à n’en point désunir les élémens essentiels et à ne pas mettre d’un côté la connaissance toute pure et de l’autre la croyance qui viendrait apporter à des idées, à des fantômes, la consistance et la réalité. Connaître, c’est indivisiblement, en dehors des artifices de la réflexion, saisir les phénomènes et l’être qui en est le principe[1]. » Pareillement, Pascal donnait l’intuition et l’esprit de finesse, dans lequel il voyait le sens des arrangemens spontanés, comme supérieur à l’esprit de géométrie qui abstrait, et qui divise. Et, dans des termes presque identiques, Bossuet rapprochait les puissances spéculatives des puissances aimantes de l’homme, expliquant par ce rapprochement la connaissance complète. « La connaissance véritable et parfaite est une source d’amour. Il ne faut point regarder ces deux opérations de l’âme, connaître et aimer, comme séparées et indépendantes l’une de l’autre, mais comme s’excitant et se perfectionnant l’une l’autre[2]. »

Maintenant, comment figurer cette unité profonde de la connaissance, si l’on ne retrouve, derrière la dispersion de nos pensées, un point où ces rayons convergent et un foyer où ils s’exaltent ? Cette activité où se ramasse l’inspiration qui anime nos croyances, tout autre, par suite, qu’un total ou qu’une idée, quelle en est donc la nature ? C’est ce qu’indique un nom qui l’exprime telle qu’elle est, et, ce nous semble, tout entière, le nom de cœur. Aristote, voyant dans l’individuel le fond et la substance même de l’être, avait pris soin d’établir que c’est le propre de l’individu de n’être pas objet de science. Et pourquoi ? Parce que l’individu ne comporte pas de détermination générale, étant par nature si original ou, pour mieux dire, si unique qu’il défie toute formule. Bien plus tard, Bossuet reconnut dans ce fond reculé de l’âme le secret conseil où les idées se forment et les résolutions se prennent, et il y vit comme une inspiration individuelle capable de gouverner la conduite, de juger aussi en dernier ressort de la règle des mœurs. C’est sans doute ce qu’estimait encore Pascal quand il

  1. De la Certitude morale, 224.
  2. Bossuet (Méditation sur l’Évangile, la Cène, 2e part. 37e jour).