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territoires, des influences et des sources de richesses du globe tout entier que se préparent des lendemains de prospérité et de puissance pour les nations qui seront, aux siècles prochains, les directrices de la vie civilisée et les protagonistes de l’histoire humaine. La France doit à elle-même et à son passé d’être l’une de celles-là.


I

Le coup de force de Kiao-tchéou ouvre une crise décisive dans l’histoire de la question d’Extrême-Orient. Commencées avec la guerre sino-japonaise, les premières péripéties du grand drame politique qui se joue autour de la Chine sont closes : nous assistons au second acte[1]. Si les personnages restent les mêmes, leurs attitudes changent ; ils se conforment au cours nouveau qu’a donné aux affaires l’ordre inattendu de l’empereur d’Allemagne aux marins de l’amiral Diederichs et leur débarquement sur le territoire du Chan-toung (17 novembre 1897). Cette prise de possession violente, en pleine paix, d’un morceau de l’une des dix-huit provinces, modifia les élémens du problème et la situation respective des grandes puissances vis-à-vis du Céleste Empire : la politique française, comme les autres, en ressentit les effets et s’en trouva troublée.

Depuis qu’avec la Russie et l’Allemagne, la France avait arrêté la marche victorieuse des armées japonaises et sauvé l’intégrité de l’Empire du Milieu, elle exerçait, à côté de son alliée et d’accord avec elle, une influence prépondérante à la cour de Pékin. Les trois puissances qui s’étaient concertées pour donner aux Japonais le « conseil amical » d’évacuer le Liao-toung, avaient acquis, de ce fait, un très utile ascendant sur le gouvernement chinois ; il était, dans une certaine mesure, leur client, en tout cas leur obligé, et l’on savait au besoin lui rappeler les services rendus. Si cet heureux accord se fût prolongé, la Russie, la France, l’Allemagne, auraient pu devenir les éducatrices d’une Chine régénérée et présider à la lente évolution qui, d’un pays fermé, fait un domaine ouvert à l’activité européenne. L’Angleterre portait la peine des

  1. Nous renvoyons, pour toute la période de la guerre sino-japonaise jusqu’à l’affaire de Kiao-tchéou, à notre article Qui exploitera la Chine ? (Revue du 15 septembre 1897). On se reportera aussi aux articles de M. Pierre Leroy-Beaulieu (Revue des 15 novembre 1898, 1er janvier, 1er mars et 1er septembre 1899).