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elle se décidera par l’habitude. Ce que tous les hommes accordent aux idées religieuses soit pour l’éducation de leurs enfans, soit dans leurs maladies, soit à l’époque de leur mort, peut se diriger vers un culte devenu le plus facile, le plus à portée d’eux… Alors l’Etat aura dans sa main toute l’influence du culte entretenu par lui, et cette grande puissance qu’exercent toujours les interprètes des idées religieuses sera l’appui du gouvernement républicain[1]. »

On ne peut s’empêcher de penser, en méditant l’histoire de ce siècle, que les idées de Mme de Staël ont fait une singulière fortune : il faut chercher dans les raisons qu’elle donne, et non ailleurs, l’explication des sympathies, secrètes ou avouées, que le régime républicain nourrit à l’égard de la religion protestante. Nous estimons, quant à nous, qu’il n’est pas si facile que se l’imagine Mme de Staël, de rayer d’un pays, par un simple décret, les antiques croyances et les traditions des ancêtres. Ce que la Terreur n’avait pu faire, le Directoire, à plus forte raison, eût été impuissant à l’accomplir. Si le Concordat de Bonaparte réussit, c’est qu’il trouvait dans le sol de la nation les profondes racines du vieil arbre, qui ne demandaient qu’à jeter des pousses nouvelles et de vigoureux rameaux. Dans les villes, sans doute, à Paris surtout, on semblait avoir oublié assez vite les pratiques du culte ; mais le souvenir des pieuses cérémonies de l’Eglise catholique était encore vivace au cœur du paysan : pendant tant de siècles, les cloches avaient annoncé l’heure de son baptême, de son mariage et de sa mort ! Quelques années de révolution n’avaient pu briser le fin réseau de sentimens qui tenait son âme captive.

Mais, surtout, nous n’admettons pas l’idée de Mme de Staël, parce que nous sommes convaincus que l’esprit religieux n’a pas de plus grand ennemi qu’une religion d’Etat, quelle qu’elle soit, dont le sort est lié intimement à celui d’un régime politique. Mme de Staël le reconnut plus tard. Renfermée au fond de son hôtel, en entendant le bruit du canon qui annonçait le départ de la pompe consulaire pour l’église Notre-Dame, elle pleura. Derrière les glorieux régimens qui ouvraient la marche, derrière les carrosses de l’ancienne cour où se prélassaient les consuls, avec les mêmes cochers sur le siège, les mêmes valets de pied marchant à côté des portières, elle entrevit sans doute par la force

  1. Feuillets 227, 228.