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pût lutter contre l’avidité, l’égoïsme, la soif inextinguible des jouissances : le sentiment religieux. C’était la conséquence fatale des persécutions exercées contre les ministres du culte, de la suppression des cérémonies religieuses, de la fermeture des églises. Il semblait qu’on eût enfermé la France sous la cloche de quelque vaste machine pneumatique, et qu’on eût fait le vide. Deux sentimens avaient disparu : le loyalisme envers le roi, l’obéissance envers l’Eglise. Qu’avait-on mis à la place ? La foi républicaine, l’ardent amour de la liberté ? Quand l’ennemi foulait le sol de la patrie, cette fièvre généreuse avait soutenu les âmes. Maintenant qu’elle était tombée, et que renaissait la sécurité des frontières, régnait seul l’âpre et triste désir des jouissances, l’individualisme forcené, l’égotisme.

Il fallait donc restaurer l’idée religieuse ; le salut était à ce prix. Nulle idée n’était plus chère à Mme de Staël. Elle était pour elle une sorte de tradition, de legs de famille. Petite-fille de pasteur, élevée par une mère très pieuse, elle était aussi toute pénétrée des leçons de M. Necker. On sait le fétichisme dont elle entourait son père. Or M. Necker professait que l’idée religieuse est la base nécessaire de toute société et qu’elle est indispensable au bonheur de l’homme. Dès la veille de la Révolution, en 1788, il avait développé ce principe dans son livre De l’Importance des opinions religieuses. Le spectacle de la tourmente révolutionnaire n’avait fait qu’affermir ses convictions. Au fond de sa retraite de Coppet, l’ancien ministre de Louis XVI, penché sur sa Bible, préparait son Cours de morale religieuse, qui devait paraître en 1800. Nul doute qu’il n’eût sur ce point avec sa fille de fréquens entretiens. En ce moment aussi, l’ami de Germaine Necker, Benjamin Constant, revenu de son athéisme, était frappé de l’abaissement moral de la France ; il commençait d’écrire le grand ouvrage de toute sa vie, le livre De la Religion, qui ne vit le jour que sous la Restauration. Il était encouragé dans son labeur par Mme de Staël : ces deux nobles esprits s’excitaient, s’enflammaient de toute l’ardeur de leurs convictions. Vers la même époque, un jeune émigré obscur, mélancolique et rêveur, méditait, dans sa mansarde de Londres, le livre qui devait rendre son nom à jamais illustre. Ces trois grandes figures, Mme de Staël, Benjamin Constant, Chateaubriand, nous apparaissent, à l’aurore de ce siècle, dans l’œuvre de reconstitution morale de la France.

Mais, tandis que Chateaubriand représente le côté catholique