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qui ont occupé sur ses bords quelques « points d’appui » pour leurs escadres ou quelques forteresses pour leurs soldats, ont surtout pris ces précautions militaires parce qu’ils se jalousent entre eux et se défient les uns des autres. Elle n’est pas non plus séduite par une culture dont elle ne comprend pas la supériorité. Le spectacle auquel nous assistons est tout autre : c’est la Chine envahie par les capitaux étrangers en quête d’un intérêt qui dépasse le modeste 3 pour 100 de nos rentes sur l’Etat ; c’est la Chine ouverte aux procédés et aux outils de la civilisation occidentale, transformée par les banques, les chemins de fer, les exploitations minières : la Chine s’ouvre à l’argent et aux machines. Russes, Anglais, Français, Allemands, Américains, Japonais, Belges, Italiens, dans l’œuvre de la mise en valeur de tant de richesses improductives, aspirent au rôle lucratif de directeurs et de courtiers ; ils veulent être les agens et les premiers bénéficiaires d’une transformation économique que les Chinois n’ont pas désirée, mais dont, peut-être, ils sauront profiter.

Dans le recul de l’histoire, cette éclosion d’une Chine nouvelle, au contact longtemps évité de la civilisation européenne, apparaîtra comme le fait capital de la fin de notre siècle ; lorsque se développeront les révolutions économiques et politiques qui sont en germe dans cette métamorphose de l’antique Cathay, on appréciera quelle place occupe dans l’histoire du monde ce fait sans précédent que, chez nous, on semble à peine apercevoir.

Notre France a été en Extrême-Orient, selon la tradition de son histoire, une initiatrice : la première, avec l’Angleterre, elle a noué des relations avec la Chine ; elle y a assumé la protection des missionnaires et obtenu l’ouverture de ports de commerce. Elle gouverne à ses portes un empire de vingt millions d’âmes, elle est devenue une puissance asiatique : elle ne saurait rester indifférente à cette grandiose préparation d’avenir qui s’élabore dans le monde jaune. Nous avons, dans l’Empire du Milieu, une influence à conserver et à agrandir, un rôle glorieux d’éducateurs à soutenir ; nous avons aussi une part de bénéfices à tirer du nouvel essor économique qui s’annonce. Quelle est, à l’heure actuelle, notre situation en face de la question d’Extrême-Orient, dans quelles voies s’est engagée notre politique et dans quel sens il convient d’orienter nos efforts, c’est ce que nous voudrions ici tenter de dégager. Aussi bien est-ce pour notre destinée dans le monde une question vitale, car c’est dans le partage actuel des