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du livre est de propager les idées ; celui de la presse est d’agiter avec les faits. En d’autres termes, un journal est un acte public, annonçant les événemens publics, pouvant induire les citoyens en erreur, et, comme tel, il doit être placé sous la surveillance immédiate du gouvernement. « Dans un pays bien gouverné, ne réserve-t-on pas à l’autorité publique seule le droit d’afficher sur les murs, le droit de proclamer dans les rues les événemens et les lois ? Cela s’appelle-t-il violer la liberté de la presse ou celle de la parole ? » Donc, Mme de Staël réclame pour l’État le droit de contrôle ; les journaux n’imprimeront, ne publieront que les nouvelles qu’il autorise. Soit, mais qui ne voit les conséquences d’un droit aussi exorbitant ? Il faut supposer l’État bien vertueux ou bien naïf, pour croire qu’il n’abusera pas du droit que vous lui conférez de supprimer les nouvelles qui lui déplaisent. Fatalement, il donnera à sa police le mot d’ordre admirable que Napoléon donnait à la sienne : « Toutes les fois qu’une mauvaise nouvelle est douteuse, ne pas la laisser publier, parce qu’elle est douteuse ; quand on en a vérifié l’exactitude, ne pas la laisser passer davantage, parce qu’elle est de nature à faire tort au gouvernement. » L’idée de Mme de Staël est proche parente de celle de Napoléon. Franchement, les « communiqués » officieux, si imparfait que soit ce moyen d’éclairer l’opinion, sont encore préférables.

En troisième lieu, il y a entre le livre et le journal la même différence qu’entre le livre et la pièce de théâtre. L’action du livre est lente ; celle du théâtre est vive, immédiate, à cause du rassemblement qui se trouve au spectacle et du jeu des acteurs. Un courant électrique s’établit dans la salle ; l’individu n’est plus isolé, il fait partie d’une foule, il est agité d’autres sentimens, d’autres passions, qui sont les sentimens et les passions de la foule. Il en est de même du lecteur qui attend chaque matin son journal avec curiosité, crainte, espérance. Cet homme n’est plus « un homme ; » il est devenu foule, il a lame des cent mille abonnés de son journal, il communie avec eux tous les jours, il vibre à l’unisson. Il subit une action vive et continue que n’exerce pas le livre. Ce citoyen est un danger pour l’État ; il faut que l’État le surveille, ou, ce qui revient au même, qu’il surveille son journal, comme il surveille le plaisir que l’on goûte au théâtre. Il est absurde de soumettre les pièces à la censure et de n’y pas soumettre les journaux. Le gouvernement doit avoir le droit de