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à M. le sous-préfet d’Autun, et ensuite à M. le préfet de Saône-et-Loire, jusqu’au moment où sous-préfet et préfet ont disparu à leur tour pour la laisser au président du Conseil, M. Waldeck-Rousseau, choisi ou admis comme arbitre par les deux partis.

Comment sous-préfet, préfet et ministre se sont-ils laissé engager dans cette affaire, où ils auraient mieux fait de s’abstenir ? Il y a eu là d’abord de la faiblesse, puis de l’entraînement. Une fois le doigt dans l’engrenage, le corps y passe tout entier. On s’est félicité du résultat de l’arbitrage, et nous reconnaissons que ce résultat n’a pas été mauvais ; mais c’est le procédé que nous blâmons. Le président du Conseil n’a aucune qualité pour s’entremettre dans les conflits qui s’élèvent entre patrons et ouvriers, et il est à peine besoin d’insister pour faire comprendre les inconvéniens que présente son intervention. Si elle ne les a pas eus tous cette fois, elle les aura une autre, à supposer que la méthode s’établisse de recourir habituellement au même personnage, pour dénouer une difficulté qu’on juge, autrement, inextricable. Lorsqu’on songe à la manière dont sont choisis les présidens du Conseil, et aux hasards qui dirigent généralement ces choix, il est impossible de ne pas trembler en voyant de pareilles pratiques devenir chez nous une espèce de droit coutumier. Car ce n’est pas la première fois que le fait se produit. Déjà, en 1892, à propos de la grève de Carmaux, qui avait été plus longue et plus violente que celle du Creusot, on avait eu recours au même expédient. L’arbitrage de M. Loubet, alors président du Conseil et ministre de l’Intérieur, comme M. Waldeck-Rousseau l’est aujourd’hui, a été improvisé au milieu du désordre d’une séance à la Chambre des députés. M. Clemenceau a mené toute l’affaire avec une maestria supérieure. Il avait sous la main non seulement M. Loubet, cloué sur son banc de ministre, mais M. le baron Reille, président du Conseil d’administration des mines de Carmaux, et il fallait entendre de quel ton il les harcelait l’un et l’autre. — Acceptez l’arbitrage, disait-il à M. Loubet qui devait le rendre, et à M. Reille qui devait le subir, acceptez-le, et tout est fini : je me porte fort au nom des ouvriers. — Ni M. Loubet, ni M. Reille n’étaient disposés à se rendre. Le premier sentait parfaitement qu’on voulait le faire sortir de son rôle et lui imposer d’autres responsabilités encore que celles dont il était déjà surchargé ; le second sentait non moins vivement le danger qu’il y avait à introduire le chef du gouvernement dans une affaire industrielle, comme juge d’un conflit dont toutes les conditions étaient par cela même modifiées. Il s’exhalait de là un parfum de socialisme d’État qui ne plaisait