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au hasard, cette œuvre capitale soit à peu près illisible. « Je dédaignerai d’orner mes phrases ou de polir mon style, déclare Mary Wollstonecraft dans son Introduction : mon seul objet est d’être utile, et ma sincérité me dispensera de toute affectation ; » et Godwin nous apprend que l’ouvrage entier a été écrit en six semaines. Il a été écrit, en tout cas, avec tant de hâte, que non seulement les phrases n’y sont guère « ornées, » mais que les idées elles-mêmes y sont présentées pêle-mêle, sans ombre de plan ni de préparation. Et c’est un véritable service que vient de nous rendre Mme Emma Rauschenbusch-Clough, en prenant la peine de débrouiller pour nous cet obscur fatras, de façon à mettre en pleine lumière la doctrine féministe de Mary Wollstonecraft.


Cette doctrine est d’ailleurs, au fond, d’une simplicité parfaite, et quelques lignes suffiront à la résumer. Mais on devra se rappeler, d’abord, la date de l’ouvrage et les circonstances où il fut conçu. Indignée du pamphlet de Burke contre la Révolution française, Mary Wollstonecraft y avait répondu en « revendiquant les droits de l’homme ; » d’où l’idée lui était venue de « revendiquer, » ensuite, « les droits de la femme. » Son livre n’est ainsi qu’un énorme pamphlet, écrit sous l’influence directe des faits contemporains. Et, en effet, l’auteur, tout en s’adressant au public anglais, ne cache point que c’est de la France qu’elle attend la réalisation de son plan de réformes. « Pourquoi la France, la plus éclairée des nations, n’essaierait-elle pas de voir quels effets peut produire la raison pour ramener les femmes à leur véritable nature ? Pourquoi n’essaierait-elle pas, en les admettant à partager avec les hommes les avantages de l’éducation et du gouvernement, de voir si la sagesse et la liberté n’auraient point pour conséquence de les rendre meilleures ? L’expérience, du moins, ne saurait avoir pour les femmes de mauvais effet : car rien de ce que l’homme pourra tenter contre elles ne parviendra à les rendre plus nulles qu’à présent. » C’est donc sur la Révolution française que compte Mary Wollstonecraft pour proclamer l’émancipation intellectuelle et sociale de la femme : elle lui propose de compléter par-là son œuvre, ce « retour à la nature » que Rousseau lui a appris à considérer comme le devoir le plus sacré de l’humanité ; elle-même, d’ailleurs, n’a point d’autre objet, en écrivant son livre, que de compléter l’Émile et le Contrat social.

Elle s’est aperçue, en effet, que Rousseau, qui raisonnait si bien sur les droits et les devoirs de l’homme, se trompait tout à fait dès qu’il