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un style de beauté infiniment supérieur à celui que produit la régularité des traits. Il y avait une véritable fascination dans son regard, dans sa voix, dans tous ses mouvemens. Pendant mon emprisonnement, elle est venue me voir plusieurs fois, et sans cesse j’ai senti davantage son attrait. Mais ce n’est qu’après mon départ de Paris que je me suis aperçu que j’en étais amoureux. » Cette première féministe était, en effet, une très jolie femme : telle encore elle nous apparaît dans le portrait que peignit d’elle Opie, en 1797, avec la masse superbe de ses cheveux blonds, et de grands yeux pleins de douceur et de mélancolie. Et telle sans doute elle apparut, en 1792, à un officier américain qui se trouvait alors à Paris, et qui, dès qu’il la vit, se prit pour elle d’un amour passionné. Cet Américain, le capitaine Gilbert Imlay, était un fort bel homme. Mary Wollstonecraft, peu à peu, se laissa aller à lui donner son cœur : ce fut son premier et son dernier amour.

Les deux amans auraient voulu se marier tout de suite : mais ils craignirent que Mary, si elle faisait connaître sa qualité d’Anglaise, n’eût à subir des désagrémens de la part du Comité de Salut public ; et ainsi leur mariage se trouva différé. Ils n’en vécurent pas moins comme mari et femme ; et, l’année suivante, Mary mit au monde une fille, qui fut inscrite à l’état civil sous le nom de Fanny Imlay. En 1795, Imlay et sa compagne se rendirent à Londres : mais déjà l’officier américain commençait à se fatiguer d’un amour trop exigeant : et, au lieu d’épouser Mary Wollstonecraft, il imagina de l’envoyer avec sa fille en Suède, pour y régler certaines affaires dont on l’avait chargé. La jeune femme resta absente pendant plusieurs mois, et s’acquitta de sa mission avec un succès qu’Imlay lui-même n’avait pas espéré : quand elle revint à Londres, toute fière d’avoir rendu à son ami un si précieux service, elle trouva une autre femme installée à sa place. Elle s’enfuit, affolée, courut se jeter dans la Tamise. Un batelier, par miracle, la vit tomber, et parvint à la tirer de l’eau.

Les mois qui suivirent furent pour elle d’une affreuse tristesse. Elle ne pouvait se résigner à continuer de vivre ; elle voulait vivre, cependant, pour élever sa fille ; et de nouveau la misère s’était abattue sur elle. Imlay lui offrit plusieurs fois de l’argent : elle refusa avec obstination. « Je ne vous ai jamais rien demandé que votre cœur, lui écrivait-elle ; vous me l’avez repris, il n’y a plus rien désormais que vous puissiez me donner. » Elle accepta seulement de porter le nom de Mrs Imlay.

Pour gagner quelque argent, elle publia en volume une partie des lettres qu’elle avait écrites à Imlay pendant son voyage en Suède, en