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REVUE LITTÉRAIRE.

C’est ce groupe des humoristes qu’un débutant de lettres, M. Paul Acker, nous présente dans son livre Humour et Humoristes[1]. Ce livre est un essai de critique mêlée de fantaisie. Avec raison, M. Acker a pensé que ce n’était pas le cas de recourir aux méthodes usitées dans les thèses de doctorat, et qu’il y aurait un peu de sottise à déployer l’appareil d’une critique savante pour l’appliquer à l’auteur de Coquecigrues ou à celui de J’ai tué ma bonne. Il nous donne, en guise de chapitres, une série de saynètes plus ou moins divertissantes : la réception de Courteline à l’Académie française, la lecture d’un Mémoire sur les découvertes scientifiques d’Alphonse Allais, présenté à une Société savante en l’an 2300, la conversation d’Erckmann-Chatrian avec Georges Auriol, le dialogue de Grosclaude avec un éléphant. Et lui aussi, ce critique est un humoriste ! C’est l’humoriste retournant les procédés de l’humour contre l’humour des humoristes. C’est le pince-sans-rire conviant le public à voir mystifier les mystificateurs. Cela fait un rebondissement d’humour, un ricochet d’ironies, un chassé-croisé de sous-entendus, une progression de sourires de plus en plus pinces. On a quelque peine à se reconnaître dans cette complication et à s’orienter parmi ces étages de railleries qui s’opposent en se superposant. C’est ici que tantôt les mots veulent dire ce qu’ils disent, et tantôt ils veulent dire le contraire, suivant que l’envie leur en prend. Il arrive que M. Acker mette dans la bouche de ses personnages des aveux qui nous touchent par la clairvoyance et le ton de bonhomie. Par exemple, M. Capus nous dira, songeant aux fantaisies qu’il insère dans le Figaro : « Ça n’est pas fameux, ah ! certes non… Mais il faut vivre, et ces petites choses, je les exécute pour vivre, en cinq sec, en voiture, au café, en wagon, et, neuf fois sur dix, j’offre des ratés au bon public gobeur. » Mais la plupart du temps, le procédé usité par M. Acker est justement le procédé inverse. Il consiste à accabler les gens sous le poids de comparaisons écrasantes, à leur envoyer en plein visage une volée de louanges hyperboliques, comme on administre une volée de bois vert, ou encore à leur prêter des propos par lesquels ils trahissent la bonne opinion où ils sont d’eux-mêmes, étalent leur suffisance, et font faire la roue à leurs secrètes prétentions. Aussi bien, le procédé est connu et je le crois d’un emploi, assez facile. Dès le début, nous sommes prévenus. L’auteur nous déclare que, si les anciens ont eu Aristophane, les Français du XVIe siècle Rabelais, les Espagnols Cervantès, les Anglais Sterne, Swift, Carlyle,

  1. Humour et Humoristes, par Paul Acker, 1 vol. (Simonis Empis).