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du citoyen ; comment elle permet « aux cours inférieures que le congrès pourrait instituer » de concourir, chacune à son rang et dans la mesure de sa juridiction, à la défense de la liberté contre l’omnipotence de la loi, et de l’individu contre l’Etat ; du haut en bas de la hiérarchie judiciaire, le principe est le même, la procédure serait la même[1].

Mais si, avec la Cour Suprême, les citoyens des États-Unis ont, dans le judiciaire, une sauvegarde efficace contre les dérèglemens de l’exécutif et du législatif, où trouver, dans le judiciaire, une sauvegarde contre les entreprises du judiciaire même ?

A Dieu ne plaise que nous rouvrions, à ce sujet, le classique et déjà antique débat sur « le jugement par jurés[2], » considéré comme un des articles fondamentaux du programme républicain, comme une des clauses nécessaires du contrat social démocratique. Cette question, et d’autres questions voisines, sont, à notre avis, non pas certes sans importance, mais d’une importance bien moindre qu’on ne l’a longtemps cru et fait croire. Unité du juge ou pluralité des juges, présence ou absence du jury tant au civil qu’au criminel, permanence en un lieu ou déplacemens périodiques des tribunaux, rien de tout cela n’est une condition ni un dogme de la démocratie.

Ce ne sont que des formes de la justice, et ces formes, quelque intérêt et de quelque ordre qu’elles présentent, peuvent être et sont, dans le fait, déterminées par des circonstances locales. En elles-mêmes et par elles-mêmes, elles n’offrent point la garantie que nous voudrions trouver, dans le juge, pour le justiciable, et contre les abus des autres pouvoirs de l’Etat, et contre les excès du pouvoir judiciaire tout le premier. En fin de compte, il se peut bien qu’après l’institution d’une cour suprême, imitée, en ses œuvres vives, de celle des Etats-Unis, contre les empiétemens du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, une des meilleures

  1. Voyez Georges Picot, La Réforme judiciaire, II, les États-Unis et la Suisse, dans la Revue du 1er janvier 1881.
  2. Cf. Canovas del Castillo, Problemas contemporaneos, t. III, El juicio por jurados.