Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/923

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mauvaises traductions ou adaptations de ce système que l’on s’est ingénié depuis un siècle à faire sur le continent, où la puissance législative est presque infinie, où le Parlement, suivant l’adage, peut tout ce qu’il veut, hormis changer un homme en femme ou une femme en homme, et où encore, quoiqu’il ne le puisse pas, pour peu qu’il le veuille, il lui est permis de perdre son temps et notre argent à l’essayer[1].

Si maintenant la Cour Suprême des Etats-Unis a eu ou n’a pas eu un prototype dans l’histoire ; si c’est ou si ce n’est pas « une création virtuellement tout originale des fondateurs de la Constitution américaine » ; si la procédure qu’elle suit est ou n’est pas une procédure spécifiquement anglaise ; et si, en se conformant à la jurisprudence de l’ancienne métropole, la Cour Suprême devient ou ne devient pas une source, non seulement de droit américain, mais de droit anglais ; c’est un problème ou ce sont autant de problèmes qui ont de quoi passionner peut-être des Anglais ou des Américains. — Mais nous qui sommes des « étrangers, » et de ceux-là précisément que leur penchant ne porte que trop, « lorsqu’ils rêvent une cour de justice chargée de décider sur la violation d’une règle constitutionnelle, » à lui soumettre le litige, oubliant qu’ils sont devant un corps judiciaire, sous forme de proposition politique, et de proposition générale ; nous, donc, contentons-nous de relever ces trois points :

1° La Cour Suprême des Etats-Unis ne juge que sur des espèces, uniquement quand elle est saisie, et uniquement pour le cas dont elle est saisie ;

Elle assure aux Américains, contre les violations de la Constitution, une sanction de droit civil, qu’il appartient à chaque citoyen de rendre effective en ce qui le concerne, tandis que les sanctions ordinaires de droit criminel ne peuvent être rendues effectives que par l’intervention d’un des pouvoirs publics en cause, et qui, par conséquent, n’auront garde d’intervenir.

Elle maintient et perpétue le système américain du parlementarisme limité, et elle établit, à elle seule, une protection utile contre les abus du pouvoir législatif, ou du pouvoir exécutif[2].

Cela suffit, et cela nous dispense de nous attarder à montrer comment la Constitution des Etats-Unis complète cette protection

  1. Cf. Austin, Province of Jurisprudence, lect. VI.
  2. Sur la Cour Suprême en général, voyez Willoughby, Supreme Court of United States, — Cf. H. A. Herbert, The Supreme Court in Politics, read before the Alabama State Bar Association, août 1883 ; James Bryce, The american Commonwealth ; et G. Ellis Stevens, Sources de la Constitution des États-Unis, traduction de M. Louis Vossion, p. 194. — Sur les rapports du Président avec le pouvoir judiciaire, voyez Adolphe et Pierre de Chambrun, Le Pouvoir exécutif aux États-Unis ; et l’article du duc de Noailles : Le Pouvoir judiciaire aux États-Unis, dans la Revue du 1er août 1888.