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me trouvant fermement décidé à continuer ma marche en avant, il me demande de vouloir bien attendre, tout au moins, qu’il ait reçu des ordres, sinon de Péking, du moins de Kachgar, dont la distance n’est que de 43 kilomètres. Naturellement, je m’y refuse : pour gagner du temps, il me fait apporter gracieusement une collation de petits gâteaux, composés de millet, de suif et de miel. Cette mixture, assez agréable au goût, du moins pour un voyageur privé de dessert depuis longtemps, a pour principal effet de provoquer une soif inextinguible. J’accepte néanmoins, par politesse. Pendant ce temps, le colonel Ou expédie, sans m’en informer, un courrier à Kachgar, afin de donner avis de mon arrivée et de demander des ordres. Comme il est impossible de manger indéfiniment des petits gâteaux au miel, je me lève bientôt, et j’annonce mon intention de partir. Le colonel Ou insiste de nouveau pour me retenir, et, pour me faire prendre patience, il m’offre un melon. Je commence à m’impatienter et le temps presse : peut-être la perspective de cette nouvelle collation serait-elle insuffisante pour me faire prolonger mon séjour, si je ne m’apercevais que ce cucurbitacé est d’une espèce extraordinaire et qui m’est tout à fait inconnue. Extérieurement, il ressemble à une pastèque, mais son intérieur et ses graines tiennent à la fois du concombre, du potiron et du melon. Il est d’ailleurs excellent : j’en recueille les graines, que je mets dans ma poche. J’ai réussi à les rapporter jusqu’en France. Mais une seule d’entre elles, plantée au Muséum, deux ans après, a réussi. Elle y a produit, sous notre climat, une plante très volumineuse, d’une végétation exubérante, aux feuilles très découpées, d’un vert glauque, recouvertes d’une efflorescence cireuse et ayant un aspect tout particulier. Ce végétal paraissait devoir être rattaché au genre Citrullus. Malheureusement, l’exemplaire unique était un pied mâle : les fleurs dont il était couvert n’ont pu donner de fruits, et, la plante étant annuelle, l’espèce est aujourd’hui perdue. Je signale ce curieux légume aux voyageurs qui retourneront dans la même localité. C’est une conquête à faire pour nos jardiniers.

Par égard pour l’inquiétude de mon hôte, dont je suis touché, et pour lui témoigner mon désir de lui être agréable, je consens à rester à Min-Youl encore une heure, que je passe à herboriser sur les talus du fort, où poussent des plantes sauvages assez intéressantes. J’y découvre notamment une nouvelle espèce de Glycyrrhiza. Puis, la journée étant déjà fort avancée, je déclare