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ces fortifications et les rendit inutiles. Aujourd’hui, elles sont abandonnées, et les Chinois ont établi dans le Tian-Chan des défenses fondées sur d’autres systèmes.

Après avoir dépassé ce rempart, nous descendons dans une vallée profonde et laide, encadrée entre deux pentes d’argiles gypseuses sans végétation, et où coule, du Nord au Sud, un petit affluent du Kizil-Sou. Nous le suivons pendant quelque temps vers l’aval, et nous atteignons ainsi un endroit où la vallée s’élargit et où nous trouvons un aoul composé d’une dizaine de yourtes. Les habitans nous font bon accueil. Ils sont un peu plus civilisés que les Kirghiz de Nagra-Tchaldi : ils ont l’habitude de voir passer des caravanes, ainsi que les courriers allant de Kachgar au Ferganah. Leur aoul présente un caractère de stabilité relative, attesté par l’existence d’une sorte de hutte en terre non transportable. Afin de me faire honneur, on m’y installe, malgré mes instances pour avoir une simple tente, que j’aurais certainement préférée. Nous avons l’imprudence de faire du feu, mesure justifiée par la température, qui est d’une trentaine de degrés au-dessous de zéro.

Aussi, au bout d’un quart d’heure, sommes-nous enfumés comme des renards. Après une lutte désespérée contre la fumée, nous sommes obligés de capituler. Optant pour le froid extérieur, nous évacuons notre abri. Nul espoir de le rendre de nouveau habitable avant un long délai, car le plan de la construction est celui d’un four, et la fumée n’en peut sortir facilement. Il n’y a qu’une seule ouverture, très basse, par laquelle on s’insinue en rampant, et le toit ne présente aucun orifice. Après de longs pourparlers, je finis par trouver une yourte, qui est abandonnée pour moi par la famille de ses propriétaires. Elle est criblée de trous comme une écumoire. J’aime mieux cela. La nuit est froide pourtant. Le thermomètre indique, malgré le voisinage de notre feu, — 22°.

Ce soir-là, nous dînons, grâce à l’achat d’un mouton, que je négocie, non sans quelque peine, avec mes hôtes, lesquels n’en possèdent que six. J’en mets deux quartiers en réserve pour les jours suivans, en prévision d’une mauvaise chasse. Puis, je consacre toute la soirée et une partie de la nuit à des soins culinaires dont la mise à l’ordre du jour me paraît surabondamment justifiée. Faisant subir à mes travaux l’une des transformations soudaines et nombreuses dont la succession rapide constitue l’art du voyageur, je procède, alternativement et avec un soin égal, à des