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grise, présente des reliefs bizarres, intéressans pour le géologue qui en fait l’analyse, et souvent pittoresques. Mais l’aspect général du paysage est d’une tristesse navrante.

Dans la matinée, nous franchissons un col insignifiant, celui de Chour-Boulak. Puis, à deux heures, après une marche pénible qui nous a menés à 40 kilomètres d’Ouloug-Tchat, et à environ 30 kilomètres de notre point de départ du matin, nous apercevons, du haut d’un col, une petite construction en pisé, située à mi-côte d’un versant que nous allons descendre pour pénétrer dans une vallée où un ruisseau coule du Nord au Sud.

— Machrab ! s’écrient tous mes hommes en se signant ou en se prosternant avec force marques de respect.

Le petit édifice qui est devant nous, but de pèlerinage pour les tribus de la montagne, porte le nom de Machrab, qui est en même temps un nom d’homme, celui du personnage vénéré dont la dépouille est enterrée là.

Depuis longtemps, en maints endroits divers du Turkestan, on m’avait parlé de Machrab, toujours avec une profonde vénération, sans qu’il me fût possible de savoir au juste ce qu’il était, ni même dans quel pays et dans quel siècle il avait vécu. Je savais seulement que c’était un personnage canonisé, ce qui n’est pas très rare en pays musulman, un penseur et un martyr, ce qui n’est pas non plus très rare, et un écrivain, ce qui l’est davantage.

Vers quatre heures du soir, nous atteignons le tombeau du saint. C’est une construction humble et informe, en terre battue, recouverte d’une sorte de petit dôme à plusieurs coupoles, de même matière, et qui est en partie cachée sous un énorme amoncellement de cailloux, dont chacun est dû au respect d’un passant. Plusieurs perches en bois de saule, chargées de lambeaux de chiffon et diversement inclinées au-dessus du tumulus, représentent d’une façon pauvre, mais cependant suffisante, paraît-il, au point de vue rituel, les étendards et les tougs caractéristiques des tombeaux de saints plus riches ou plus civilisés. Quelques massacres d’oudjda (Ovis Poli), le grand mouflon dédié à Marco Polo, et d’akrar (Ovis Karelini), remarquables par leurs dimensions monstrueuses, ou de tiik (Antilope subgutturosa), qui ressemblent à des cordes à nœuds, sont posés au sommet du tumulus. Ces sont les ex-voto offerts par des cliens qui, plus chasseurs ou plus pieux que les autres, ne se sont pas contentés