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convaincre facilement par l’examen des coupures qu’y ont pratiquées les eaux. Le fait est intéressant à noter au point de vue géologique. En effet, on a cru longtemps, et plusieurs voyageurs des plus compétens ont écrit qu’il n’y avait pas de glaciers en Asie centrale. D’après eux, les conditions atmosphériques s’opposeraient, dans cette région, à la formation du névé, élément essentiel et primitif des glaciers tels qu’on les voit en Suisse. Ce dernier point est peut-être exact, mais les glaciers, quoique rares, existent quand même dans le massif du Pamir et dans les montagnes voisines. Les découvertes les plus récentes l’ont démontré. Assurément l’extrême sécheresse atmosphérique qui règne, à l’époque actuelle, sur toute la partie centrale du continent asiatique a fait reculer les glaciers et en a diminué le nombre. Mais il en existe encore de considérables. Tel est par exemple l’énorme glacier du Zerafchane, où prend naissance le fleuve de ce nom, qui arrose Samarkande ; il ressemble, par sa forme et son orientation, au glacier du Rhône, mais avec des dimensions bien plus grandes, car il est long de 100 kilomètres et se trouve à une altitude de 5 000 mètres. Tels sont encore les glaciers du Pic Kauffmann, ceux qu’a énumérés M. Capus dans son travail spécial à ce sujet[1], ceux qu’ont visités les voyageurs anglais dans la vallée du Haut-Indus et dans celle de son affluent le Cheyak. Tels sont encore ceux qui descendent des flancs du Mouz-Tagh-Ata, que j’ai observés de loin et que le voyageur suédois Sven Hedin a explorés ou approchés depuis. Et il en a existé autrefois un bien plus grand nombre, lorsque la limite des neiges éternelles était plus basse qu’aujourd’hui. La barrière rocheuse dont nous parlons en est un témoin irréfutable.

La partie de la vallée du Kizil-Sou située en amont de ce point formait autrefois un glacier. À une époque plus moderne, celui-ci ayant disparu, son ancienne moraine a constitué un barrage de retenue, en arrière duquel la rivière s’épanchait en un petit lac. Depuis lors, les eaux ayant pratiqué, dans la digue, une brèche qui l’entaille jusqu’à la base, ce lac lui-même a disparu.

À trois kilomètres plus loin, à l’Est, la vallée s’élargit brusquement et le Kizil-Sou s’étale dans une sorte de plaine où il reçoit plusieurs affluens, notamment le torrent d’Outch-Tach. Le fleuve décrit vers le Nord plusieurs sinuosités, que la route ne suit pas, et

  1. Cf. G. Capus, Étude de la distribution des neiges sur le Pamir. Bulletin de la Société de Géographie, 1892.