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le calme, la paix avec elle-même et avec le monde extérieur, où elle pût s’élever à une plus grande force d’action[1]. »

Tel fut l’esprit le plus pur de la musique antique. Elle avait pour mission et pour idéal beaucoup moins d’agiter que d’ordonner et de rythmer les âmes : ῥυθμίζειν τὰς ψυχὰς. Mais cette ordonnance, ou ce rythme, n’avait rien de rigide, encore moins de glacé. Il laissait, que dis-je, il faisait les âmes vivantes, d’une vie qu’il élevait lui-même à la plénitude et à la perfection. Ni l’action ni la force ne manque à la musique antique, telle que la caractérise Westphal. Et quand les commentateurs des anciens, quand les anciens eux-mêmes nous parlent, à propos de leur art, de contemplation et de paix, n’allons pas croire qu’il s’agisse de paresse ou seulement de tranquillité : « Malheur, s’écriait un jour le maître regretté que nous citions au début de cette étude, et qu’en terminant, il nous plaît de citer encore, malheur à celui que l’art grec laisse tranquille ! Et malheur à celui qui demande aux Muses de le plonger dans d’oisives et languissantes rêveries ! Car les passions qu’inspire un art sain sont des principes d’action ; je veux dire qu’elles tiennent de la joie, laquelle n’est pas un repos, mais la suprême activité de l’âme[2]. » Activité, passion, force, tels sont, quand on parle d’art, même de l’art antique, les termes auxquels il faut toujours revenir. Il ne s’agit que de les bien entendre. Une activité disciplinée et soumise, une passion qui se contient, une force maîtresse d’elle-même, tout cela, c’était l’âme grecque : une âme, a très bien dit Cherbuliez, une âme qui avait appris la musique ; car, au fond, dans son essence intime et dans le dernier secret de son être, la musique grecque était aussi tout cela.


CAMILLE BELLAIGUE.

  1. Cité par M. Gevaert.
  2. V. Cherbuliez, Le cheval de Phidias.