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poètes-compositeurs eux-mêmes de l’antiquité, chez lesquels nous trouvons le même génie que chez lui. »

Avec plus de réserve que Westphal, son commentateur, qui se fait quelquefois son correcteur, cherche et trouve cependant comme lui, entre la musique classique et la poésie grecque, des analogies qui vont souvent jusqu’à l’identité. Il analyse et pour ainsi dire il découpe en strophes, périodes, membres et pieds, une fugue de Bach ou une sonate de Beethoven, aussi sûrement, aussi nettement qu’une ode de Pindare. Sans démontrer d’après M. Combarieu ou sans discuter avec lui la réalité de ces correspondances profondes, il est permis d’y réfléchir et d’en signaler à plusieurs points de vue le très sérieux intérêt. Et d’abord, point n’est besoin d’être familier avec le trochée, l’anapeste ou le trimètre ïambique, pour constater qu’en un siècle et demi, l’évolution du rythme s’est réduite en quelque sorte à son abolition. L’histoire du rythme offre un saltus ou plutôt une cassure très nette, et cela justement à l’endroit où M. Combarieu l’a signalée. Il suffit, pour la reconnaître et la sentir, de comparer l’un des premiers quatuors de Beethoven avec un des derniers, un air de Mozart avec un lied de Schumann, ou mieux encore une fugue du Clavecin bien tempéré avec une page de Tristan et Yseult. De ces divers chefs-d’œuvre, les uns partagent le temps avec exactitude, presque avec rigueur ; les autres le mesurent à peine, et mollement, j’allais dire lâchement, ils le laissent passer. La musique a perdu le secret ou le goût des hiérarchies très organisées dans la durée. Elle a fait de plus en plus sienne la fameuse devise : τὰ πάντα ῥέει. Et sans doute le terme même de rythme vient de ῥέειν, s’écouler. Mais la musique autrefois se piquait de rendre régulier cet universel et perpétuel écoulement ; elle se flatte aujourd’hui de le rendre insensible.

Survivance, puis disparition des rythmes antiques dans l’art contemporain, il est intéressant de constater ce double phénomène, et cela pour plusieurs raisons qu’a fort bien vues M. Combarieu. D’abord il ne saurait être indifférent pour l’histoire générale de l’esprit humain, pour l’unité de cette histoire, qu’à deux mille années de distance, des lois identiques aient régi et pour ainsi dire conditionné des génies aussi éloignés et divers que ceux d’un Eschyle et d’un Bach, d’un Beethoven et d’un Pindare. Si, de plus, on peut limiter à la période dite classique la présence dans la musique moderne de la rythmopée antique, on apporte un