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Spéculations profondes, aperçus délicats, problèmes d’esthétique posés et résolus, doctrine de l’idéal antique justifiée par de vastes généralisations ou par le détail le plus minutieux, il est rare que tout cela se trouve, comme on dit familièrement, sous le pas d’un cheval. Une fois cependant tout cela s’y est trouvé. Il est vrai que le cheval était de Phidias, et regardé par des yeux dignes de le contempler[1].

Qui demande à la musique la révélation du génie grec entreprend une tâche plus rude. Celui-là sût-il entendre comme savait regarder le maître qui n’est plus, il lui manquerait encore, et sans doute il lui manquera toujours le chef-d’œuvre d’un Phidias musicien. Pieux seulement envers les marbres, l’air léger de l’Attique est oublieux des chants que lui-même autrefois a formés. Les admirateurs de l’immortelle métope eussent cherché en vain, pour la célébrer dignement, une mélodie qui l’égale. Avant les récentes fouilles de Delphes, l’héritage musical de l’antiquité se réduisait, hormis quelques fragmens insignifians ou douteux, à trois médiocres hymnes du second siècle après Jésus-Christ. Les dernières découvertes ont reporté nos connaissances plus loin et jusqu’à l’époque classique, au troisième siècle avant notre ère. Par leur date comme par leur étendue, par leur état de conservation et leur valeur esthétique, les deux hymnes à Apollon, le premier surtout, sont de beaucoup supérieurs aux débris retrouvés précédemment. Ils ne fournissent pourtant à l’étude générale de l’art qu’un étroit et fragile support. Par bonheur, à défaut des œuvres, les doctrines ont survécu. Si nous ne pouvons presque rien sentir de la musique de la Grèce, nous en pouvons presque tout savoir. Sa nature propre ; ses relations avec les deux autres arts, poésie et danse, dont elle était presque inséparable ; ses fonctions enfin et son « éminente dignité » dans la civilisation hellénique, les maîtres de l’érudition contemporaine ont dit abondamment tout cela. Nous ne souhaitons que de le redire brièvement après et d’après eux. Regarder, ou plutôt deviner l’art pratique à travers la théorie de l’art ; imaginer en quelque sorte les effets en ne connaissant que les causes, c’est peu de chose sans doute, et nous n’apercevrons qu’un reflet, peut-être même une ombre. Mais, sous les cieux éclatans de la Grèce, une ombre, fût-ce l’ombre d’une ombre, est encore de la lumière.

  1. Le cheval de Phidias (Causeries athéniennes), par Victor Cherbuliez. Paris, M. Lévy.