Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sonder en personne. Le duc de Richelieu s’en est chargé de lui-même. Le résultat, je le dis avec douleur, n’a pas été bon. Ne demande point d’audience particulière, même à Sp (le duc d’Angoulême) et vas-y dimanche à l’audience publique. Tu seras reçu ce qu’on appelle poliment, mieux de Sp. Mais, je ne me flatte pas encore que ce soit comme nous le désirerions. Hélas ! Jonathas était obligé de se cacher de Saül pour aimer David. Pour moi, tu sais bien que mon cœur et mes bras te seront toujours ouverts. Écris-moi à ton arrivée. Adresse ta lettre à Péronnet qui est de service. Je t’indiquerai le moment où quatre mois de peine finiront… pour recommencer bientôt. Je te conseille d’écrire aussi au duc de Richelieu et à Pasquier pour leur demander un rendez-vous. J’ai signé ce matin tes lettres de créance. Je ne peux douter d’après quelques mots, par-ci, par-là, qu’on n’ait grande envie que tu partes. N’y oppose point de difficulté ; ne parais point désirer de prolonger ton séjour ; nous verrons ce que nous pourrons faire.

« L’affaire Clausel dort. Nul doute qu’à ton arrivée, MM. les doctrinaires et les ultra-libéraux ne semblent la réveiller. Je ne suis pas en peine du dénouement. Mais cela mettrait le feu à la maison : Incidimus per igne supposita cineri doloso. On te saisira au saut de ta voiture pour t’en parler. Aie, je t’en conjure, comme ami, comme père, le courage de déclarer hautement que tu ne veux pas que ton affaire particulière interrompe le cours des affaires publiques… Tu me trouveras très bien portant, quoique dans mon fauteuil… »

Assuré par ces recommandations du bon accueil qui l’attendait aux Tuileries, Decazes arrivait à Paris dans la journée du 22 juin. Il fut reçu par le roi dans la soirée du même jour et le retrouva tel qu’il l’avait laissé quatre mois avant, tel qu’il devait être pendant la durée de ce séjour où, presque tous les soirs, le favori eut une longue audience qui ne différait en rien de celles d’autrefois. Il n’existe pas dans la correspondance royale de longues lettres datant de cette époque. Le roi voit Decazes autant qu’il veut le voir et n’a pas besoin de lui écrire. Tout se borne à quelques billets brefs et concis par lesquels il le mande : « Bonjour, mon cher fils ; si tu es libre, je t’attends à neuf heures et demie. » « A ce soir, cher fils bien-aimé ; ne perdons rien du peu de temps qui nous reste. » Rien n’est donc changé dans le cœur du roi. Il est tout entier à son ami.