Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/806

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occupera sa place un peu mieux que ce pauvre Roger, à qui je vous prie de dire son fait, ne fût-ce que par charité pour lui-même. »

Cependant dans la retraite où les instances des ministres du roi le retenaient malgré lui, Decazes s’impatientait et rongeait son frein. Il regrettait de n’être pas parti pour Londres quelques semaines plus tôt et de s’être engagé à attendre pour partir que la loi électorale fût votée. De quelque apparence de résignation qu’il cherchât à parer son attente et sa servitude volontaire, il appelait nerveusement la fin de son exil, toujours préoccupé toutefois de ne rien dire ni de ne rien faire qui pût alarmer les ministres et altérer la confiance du roi dans sa docilité. Ce qui se passait en lui, alors qu’il attendait depuis trois mois qu’on lui rendit la liberté, se devine dans une lettre qu’il écrivait à de Serre, le 23 mai.

Resté ministre dans le second cabinet Richelieu, De Serre, que le triste état de sa santé avait contraint de partir pour Nice plusieurs semaines avant l’assassinat du duc de Berry, venait de rentrer à Paris pour y défendre devant les Chambres la loi électorale.

« J’ai appris avec bonheur, mon cher ami, votre heureuse arrivée, lui disait Decazes. Un moment, j’ai craint, en vous voyant courir le monde méridional, que je serais privé de vous voir avant mon départ pour Londres, et cela eût été en effet si nos collègues n’avaient pas pensé qu’il était utile que je différasse encore mon départ et que j’attendisse la fin de la discussion et le vote de la loi nouvelle, ce qui me mènera, je suppose, vers le 5 ou le 10 du mois prochain, époque pour laquelle je prépare mes paquets. J’attendrai toutefois pour me mettre en route d’avoir appris l’adoption de la loi, car si elle était rejetée, je me garderais bien de quitter ma retraite et j’attendrais que vous vous fussiez déterminé à en présenter une autre pour traverser Paris et me rendre à Londres. Je regrette de ne l’avoir pas fait il y a trois semaines. Je serais sorti de cette ridicule position qui fait que je n’ose pas traverser Paris dans la crainte d’être un embarras alors que je devrais et que je ne voudrais être qu’un secours. »

Et comme il savait qu’au même moment, Clausel de Cousserques faisait campagne contre lui, annonçait la publication d’un libelle où tous ses griefs seraient énumérés et justifiés et se vantait de l’obliger à l’appeler devant les tribunaux, il ajoutait :

« On m’annonce l’affaire Clausel pour le mois prochain. Je mets beaucoup de prix à ce qu’elle soit vidée avant que j’arrive à