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comédie. On n’y voit guère trace des sentimens qui, en réalité, emplissaient son cœur d’amertume. Pour qu’éclatât sa colère, il fallait qu’il eût surpris quelqu’un de ses adversaires en flagrant délit de perfidie, de mauvaise foi, de malveillance plus ou moins dissimulée.

C’est ainsi qu’à propos de Villemain, il se découvrit un ennemi très actif dans un homme assez obscur qu’il avait maintes fois obligé, dont il attendait sinon de la gratitude, du moins de l’indifférence, François Roger, l’auteur dramatique, membre de l’Académie française, qu’il avait fait nommer en 1817 secrétaire général des postes. Naguère, en apprenant que sa correspondance avec le roi passait par le Cabinet noir, il s’était refusé à soupçonner de ces indiscrétions le directeur général M. de Mézy, dont il avait éprouvé l’amitié. Il sut tout à coup non seulement que Roger se vantait partout d’être l’organisateur de cette surveillance mais encore que Villemain ayant posé sa candidature à l’Académie française, le même Roger la combattait par tous les moyens, « l’Académie n’étant pas faite pour les amis de M. Decazes. » C’est une des rares circonstances où, dans les lettres de celui-ci à ses amis, on voit son irritation se trahir. Et encore ici est-elle dissimulée sous la raillerie :

« Si ce n’était qu’une méchanceté et une ingratitude de la part de ce pauvre académicien, écrivait-il à de Mézy, je ne vous en dirais rien. Mais c’est une trop lourde bêtise pour que, charitablement, je ne vous prie d’en avertir ce cher homme. Un nouvel élu est obligé à plus d’esprit, plus de tact et encore plus de mémoire. Lorsqu’il l’a été, il ne trouvait pas que l’obstacle qu’il a la sottise d’opposer aujourd’hui à Villemain fût dirimant. Dites-lui de ne pas changer si vite d’avis. Dites-lui aussi qu’il ne soit pas aussi étourdi secrétaire général des postes qu’il est léger académicien, et qu’il ne se vante pas de faire : si bien qu’aucune de mes lettres, quelque voie que je prenne, ne puisse arriver sans examen préalable. C’est encore une grosse sottise et c’est toujours ce qu’il y a de pis pour un secrétaire général comme pour un académicien. Plaisanterie à part, j’ai été indigné de la conduite de ce petit imbécile envers Villemain, dont il n’est pas digne de délier les souliers académiques et à qui il doit sa réception, que j’ai, du reste, aussi un peu sur la conscience. Je serais bien fâché que l’attachement que je porte à un homme de lettres aussi distingué reculât le moment de son entrée à l’Académie, où il