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commence à me peser. » Mais, le 2 mars, ce fut une autre antienne, un véritable chant d’allégresse.

« Je l’ai revue enfin, cette écriture chérie. Mais la lettre n’est parvenue à son adresse qu’hier entre trois et quatre heures, tandis que le duc de Richelieu avait reçu la sienne dès avant-hier au soir. Ce que vous me dites de votre santé rabat de la joie que le beau-père m’avait donnée. Cependant, je vois du mieux, et c’est quelque chose. Je ne vous dis rien de la séance d’hier. Elle m’a fait de la peine ; elle vous en fera. Que les regrets de la petite sont aimables ! Je me mourais d’envie de provoquer une visite d’adieu. Je ne l’ai pas osé, dans la crainte de lui faire du mal. L’heure me presse, il faut finir. Adieu, vous savez si je vous aime vous et les nôtres. — Louis. »

Il est, certes, impossible de prodiguer à un absent qu’on aime de plus vifs témoignages de tendresse. Le malheur est qu’ils ne parvenaient au destinataire que plusieurs jours après son arrivée dans la Gironde. Il avait d’abord formé le dessein de s’installer à la Grave et d’attendre là le moment où on lui permettrait d’aller à Paris préparer son départ pour Londres. Mais, à la Grave, rien n’était prêt pour le recevoir. L’installation y était par trop primitive. Il fallait au moins huit jours pour qu’on la rendît un peu plus confortable. Il était donc parti pour une terre voisine, le Gibaud, afin d’y passer cette semaine d’attente. Or, à la date du 5 mars, ni au Gibaud èi à la Grave, il n’avait encore reçu de nouvelles. Il se décidait alors à écrire au roi, dont le silence l’étonnait et l’attristait ; il se croyait oublié, il se plaignait. Sa lettre à peine partie, il recevait, avec ce journal que Louis XVIII avait tenu pour lui, des lignes consolantes et rassurantes. Puis, lui arriva une réponse à sa plainte. Elle était bien faite pour ramener dans son âme le calme et la sérénité.

« L’Écriture sainte a bien raison, mon cher duc, de dire que l’esprit vivifie et que la lettre tue. J’ai suivi celle-ci dans l’accomplissement de vos désirs et il en est résulté que vous n’avez rien trouvé en arrivant, que vous avez été même plusieurs jours sans rien recevoir, au lieu que, si j’avais suivi mon mouvement, je n’éprouverais pas le regret qui me tourmente. À ce regret se joint une inquiétude offensante pour vous et que je ne puis expier qu’en vous en faisant l’aveu sincère. Cette lettre de Mme Chanson me revient sans cesse à l’esprit. Cette âme sèche a dit : Il n’aime que des yeux, non du cœur. Elle a bien raison de dire que