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D’autres marques du courroux d’une partie de l’opinion publique, qu’on avait, par des procédés odieux, excitée contre lui, se produisirent encore sur sa route. La duchesse raconte, dans ses notes, que les voyageurs ne durent d’échapper, en traversant Versailles, à un véritable guet-apens, dont quelques gardes du corps étaient les auteurs, qu’au soin qu’avait eu Decazes de devancer l’heure primitivement fixée pour son départ. Cette circonstance, l’obscurité de la nuit déjouèrent les plans criminels des conjurés. Les deux chaises de poste qui emportaient l’ancien ministre et sa famille, auxquels s’étaient joints, pour les accompagner jusqu’à Chartres, le comte de Sainte-Aulaire et l’illustre médecin Dubois leur ami, étaient déjà hors la ville quand les gardes arrivèrent à leur rendez-vous. Furieux de s’y trouver trop tard, ils se mirent à la poursuite des équipages. Mais, les chevaux allant plus vite qu’eux, ils furent réduits à lancer des pierres, qui, fort heureusement, n’atteignirent personne.

Ce premier péril écarté, il fallut se garder contre d’autres. Presque au même moment, le général Donnadieu se mettait en route pour Tours, où Decazes devait nécessairement passer pour se rendre dans la Gironde. Donnadieu était un de ses plus farouches ennemis, celui qui avait proféré contre lui les propos les plus menaçans. La police fut convaincue que son voyage en Touraine était motivé par l’exécution de desseins violens. Le préfet de Tours reçut l’ordre de prendre d’urgence des mesures pour les conjurer le cas échéant.

Quelles qu’eussent été les émotions de son départ, Decazes n’avait rien perdu de son sang-froid ni de son habituel courage. Mais il demeurait profondément irrité par les circonstances qui avaient précédé et suivi sa chute. Le silence gardé par ses collègues lorsque, à la Chambre, Clausel de Coussergues avait proposé sa mise en accusation, ce silence que Pasquier expliquait en disant que la Chambre, par son attitude, avait fait justice de cette proposition inconsidérée, n : en remplissait pas moins d’indignation l’âme de l’ancien ministre.

Pourquoi faisait-on peser sur lui seul la responsabilité de la politique suivie depuis cinq ans ? Cette politique, d’autres que lui ne s’y étaient-ils pas associés ? Richelieu, Laine, Pasquier, Gouvion Saint-Cyr, Dessoles, de Serre n’avaient-ils pus pris une part à tout ce qui s’était dit et fait ? Le roi ne l’avait-il pus approuvé et toujours voulu avec la même énergie que ses ministres ? Decazes