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dans ce moment une agitation, un trouble qu’on ne peut concevoir. D’un jour de douleur on fait un jour de vengeance. Les Chambres étaient décidées à recevoir les lois. M. de Chateaubriand et M. Mole ont remué ciel et terre pour les faire rejeter, sentant qu’alors M. Decazes serait perdu ; ils ne songent qu’à cela !… Les Jacobins sont dans la joie. Ils seront les funestes héritiers de nos crimes et de nos erreurs… Il y a une vive agitation dans Paris. On est obligé de consigner les troupes. Elles sont enragées. Il est bien que cela soit et qu’on le sache. Cela peut contenir en ce moment bien des gens qui, certes, auraient à profiter de l’aveuglement qui dirige tout.

« Recommandez à Charles[1] de la modération dans ses opinions dans ces affreux momens. Mme de la Briche m’a dit que, chez M. Germain, il avait eu une scène très vive sur la liberté de la presse, que M. de Mézy[2] l’avait très malmené, que Charles avait mis de la réserve vis-à-vis M. de Mézy et qu’il n’avait pas oublié relations et âge. M. Anisson m’a dit qu’il était sorti du salon avec un autre homme, impatienté de toute la violente déraison de votre fils sur ce sujet. Ma chère amie, vous ne voulez pas me croire ; on perd ce malheureux jeune homme, chauffé chez M. Guizot, chez M. de Broglie, où il passe sa vie dans les réunions les plus incendiaires ; on le perd, et l’agitation, la rage sont telles en ce moment qu’il faudrait qu’il se tût. Quelques succès obscurs de pamphlets valent-ils cette triste célébrité ? »

Tel est donc l’état des esprits, dans la société royaliste, que Decazes est assimilé à un malfaiteur, que des hommes tels que le duc de Broglie et Guizot ne sont plus que des artisans de désordre, et qu’un jeune écrivain compromet son avenir s’il tente, même dans l’intimité d’un salon, de prendre la défense des idées libérales. Les ardentes passions qui troublent le pays n’épargnent pas l’armée. Un officier écrit de Poitiers au colonel de Virieu, en garnison à Paris :

« Je crois de mon devoir, mon cher colonel, dans la circonstance actuelle, de vous instruire de l’exaspération qui existe ici dans les deux partis. La mort du Duc de Berry nous a fait voir à découvert, chose dont nous ne pouvions douter, qu’une révolution est inévitable, si l’on perd un seul moment pour détruire le Jacobinisme et donner de la force aux amis du roi en replaçant,

  1. Charles de Rémusat, qui débutait alors dans la vie publique.
  2. Député du Centre, ami de Decazes et directeur général des ( ? )