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afin de jeter sur eux un peu de déconsidération politique, on le pouvait sans doute ; et, s’il n’en était pas résulté un grand bien, il n’en serait pas non plus résulté un grand mal ; mais l’intervention de la Haute Cour n’avait vraiment pas de raison d’être. Un tribunal de droit commun aurait été mieux proportionné au crime, s’il y en a un, et encore plus aux criminels. Nous n’en exceptons pas M. Paul Déroulède. On avait dit qu’il avait conspiré avec les royalistes, ce qui aurait si fort troublé sa légende déjà établie, que nous refusions de le croire. Et nous avions raison. Dans le réquisitoire de M. le Procureur général, on n’aperçoit aucun lien entre M. Déroulède et ses co-accusés. M. Déroulède est un républicain plébiscitaire, ce qui est son droit : où il a tort, c’est lorsqu’il prétend se dispenser de convaincre ses concitoyens et leur imposer par un coup de force un gouvernement de sa façon. Il ne lui manque pour cela qu’un général : il le cherche partout, il ne l’a pas encore trouvé. Grâce à Dieu, cette fois encore, l’armée est hors de cause, et aucun homme portant l’épaulette ne figure parmi les inculpés de M. le Procureur général. Nous sommes loin des conspirations militaires qui ont été la plaie de la Restauration. M. Déroulède n’a pas encore convaincu un simple sergent.

Si nous disons qu’il n’y avait pas lieu, dans un semblable procès, de faire intervenir la Haute Cour, ce n’est pas par défiance contre elle, mais plutôt par ménagement pour elle. La Haute Cour, c’est le Sénat, assemblée toute politique. Il peut y avoir des circonstances où l’intervention d’un tribunal de ce genre est utile, et, dès lors, la Constitution a bien fait d’en réserver la faculté ; mais ces occasions doivent être infiniment rares, et, à user mal à propos d’un pareil instrument, on risque de le fausser. On s’expose aussi à en faire contester la légitimité. Ces réserves faites, nous sommes heureux de reconnaître que la Haute Cour, dans sa première séance, a pris très correctement les résolutions qu’elle devait prendre dans l’intérêt des accusés. M. Bérenger, président de sa Commission d’instruction, a eu à cet égard une influence heureuse. Sa présence à la tête de la commission est une garantie, car son autorité morale est très grande auprès de ses collègues, et chez lui la préoccupation de la justice domine celle de la politique. Avant même que l’affaire s’engageât, et, comme disent les légistes, in limine litis, au seuil du procès, deux questions se posaient : l’une de savoir si les inculpés seraient admis, lorsque le moment serait venu, à prendre part à la discussion de la compétence du tribunal, l’autre de savoir si la loi de 1897 sur la publicité de l’instruction leur serait applicable. Elles ont été résolues dans un sens favorable à la défense. De ces deux