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douleurs dans les membres, une soif vive ; une impression pénible produite par la lumière sur les yeux dont les globes sont rouges et injectés, complètent le tableau des symptômes.

Ces manifestations de la peste, à la violence et à la rapidité près, ressemblent à celles du typhus. On dirait une fièvre typhoïde, dont la marche serait invraisemblablement accélérée. L’abattement, la prostration, l’expression atone, indifférente ou stupéfiée du visage, la faiblesse des membres qui ne permettent pas au malade de se soutenir ou seulement de se soulever sur son lit, l’intensité de la fièvre, sont des traits communs aux deux affections. L’existence des bubons établit la différence. Ceux-ci, qui se manifestent dès le premier ou le second jour, entrent en suppuration vers le septième ou le huitième, si la maladie se prolonge jusque-là ; d’autres fois, la peau se mortifie comme dans l’anthrax (peste charbonneuse) et laisse un ulcère indolent : enfin, dans les cas légers, la tumeur ganglionnaire s’indure et disparaît par résorption.

La mortalité est variable. On peut admettre, en moyenne, que la peste bubonique franche tue une fois sur trois, s’il s’agit des Européens, et deux fois sur trois, s’il s’agit des indigènes, Chinois ou Hindous. La mort survient ordinairement vers le cinquième jour, exceptionnellement le deuxième ou même le premier jour. Les morts foudroyantes sont rares dans cette forme de la maladie.

On a noté, dans les épidémies de l’Inde, des cas exemplaires, dans lesquels on a pu suivre clairement le développement des accidens depuis le début jusqu’à la terminaison fatale. Ils fournissent en quelque sorte le type normal de la maladie et permettent d’apprécier la durée de ses diverses phases, incubation, excitation, coma. Ce sont les médecins ou les membres des services hospitaliers, toujours si cruellement éprouvés dans les épidémies de peste, qui en ont fait les frais. En pratiquant une autopsie, M. Prall (de Bombay) se pique au bout du doigt, le 19 mai 1898. Le surlendemain, le bubon commence à poindre dans l’aisselle ; les symptômes ordinaires apparaissent, fièvre, délire, vomissemens, bientôt suivis de la prostration habituelle ; la mort survient cinq jours après. Même chose pour M. Clemow (de Bombay), pour M. Niedl (de Calcutta). On doit donc admettre qu’en l’absence de toute complication étrangère, lorsque le bacille infectieux est inoculé par piqûre, érosion ou coupure, les