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Ce n’est pas ce qui avait lieu jusqu’ici. Le mal avait déjà le temps de s’étendre et de se diffuser hors de sa première station d’accès, avant d’être exactement signalé. Le navire le Grand-Saint-Antoine qui, parti de Saïda en Syrie, introduisit, en 1720, la peste à Marseille, avait eu déjà deux cas de peste, avant de relâcher à Livourne. Il aurait dû y être retenu. A Marseille même, et tandis qu’il purgeait sa quarantaine, un matelot meurt à bord, le 27 mai ; le mal n’est pas encore diagnostiqué. Le 14 juin, les passagers sont admis à la libre pratique. Des portefaix employés au déchargement sont frappés les 23, 25 et 26 juin et 7 juillet, et le chirurgien de la santé ne reconnaît pas encore la peste. Il paie, d’ailleurs, son aveuglement de sa vie et de celle de sa famille ; mais, lorsque enfin on identifie le fléau, il est trop tard ; la peste est installée.

Dans l’épidémie de Wetlianka, en 1878, plus d’un mois s’écoule avant que les médecins reconnaissent la nature de la maladie, et les mesures de préservation ne sont prises qu’après deux mois. La même chose arrive à Oporto. La maladie suspecte se déclare au commencement du mois de juin de cette année : les médecins croient à une épidémie habituelle d’entérite ou de choléra-nostras. Le docteur Ricardo Jorge, chef du service de santé de la ville, professeur d’hygiène à l’école de médecine, soupçonne, dès le 6 juillet, la nature du mal, mais il n’en peut donner la preuve authentique que le 8 août. Jusqu’à ce moment, l’autorité sanitaire du port délivrait des patentes nettes aux navires qui avaient touché Porto, et, paraît-il, les consuls étrangers contresignaient de confiance.

La population était restée calme. Elle a continué de vaquer paisiblement à ses occupations, jusqu’au moment où l’on connut l’intention du gouvernement de mettre la ville en quarantaine et d’établir autour d’elle un cordon d’isolement. Ce fut alors, au dire de M. Forbes Costa, « une fuite de plusieurs milliers de personnes quittant Porto en voiture, sans inspection médicale aucune, et avec des bagages non désinfectés. »

Au résumé, pendant plus de deux mois, aucune mesure efficace n’a été prise pour empêcher la diffusion du fléau par la voie de mer, ni par la voie de terre ; au contraire, tout a été fait pour la permettre.

À l’annonce que la ville allait être mise en quarantaine, la population s’est affolée ; elle s’en est prise aux médecins qui