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la Mer Rouge et le canal de Suez que nous pouvons craindre son invasion. Le vrai péril est de ce côté.


II

Les mesures de défense. — L’Europe a, pour se défendre contre l’agression du fléau, une triple ceinture de mesures protectrices qui lui forment comme une triple cuirasse. La première, la plus extérieure, consiste dans l’organisation du service sanitaire international. C’est elle qui présente les plus graves défauts.

En réalité, c’est avant de pénétrer dans le canal de Suez que les navires venant des pays contaminés devraient être soumis à une désinfection rigoureuse. Lors des Congrès internationaux de Paris, de Vienne et de Venise, les voix médicales se sont prononcées pour l’établissement d’un lazaret à El Tor. L’opposition de l’Angleterre a empêché la réalisation de ce vœu. Il est certain qu’une mesure de ce genre eût apporté quelques entraves et causé quelques retards au mouvement des navires venant de la Chine et de Bombay. La navigation en eût souffert, si l’hygiène en eût profité. L’Angleterre a préféré, en cette circonstance, les intérêts de son commerce à la préservation de la santé des autres pays. La sienne est hors de cause. La distance lui est, à elle-même, une protection suffisante, si l’on considère que l’incubation de la peste ne dépasse guère une dizaine de jours.

Il a donc fallu remplacer la quarantaine d’observation à Suez par une visite médicale qui, vu les conditions où elle s’opère, ne présente qu’une garantie insuffisante. La préservation de l’Europe est, en définitive, à peu près à la merci d’un capitaine peu scrupuleux ou d’un médecin négligent. Leur connivence, à plus forte raison, annihilerait les faibles garanties de l’organisation adoptée. Le fait n’est pas rare de navires se présentant au transit avec la peste à bord. Le Caledonia, affecté au service de la malle des Indes, en a fourni un exemple. M. le professeur Proust en a signalé cinq en moins de deux ans.

Il était donc aisé de prévoir que le continent serait atteint, quelque jour par l’épidémie. Et de fait, la peste a éclaté à Alexandrie d’abord, sur cette terre d’Egypte qui en avait été longtemps le berceau et qui s’en était complètement débarrassée depuis cinquante ans. Enfin, au mois de juillet, elle s’est déclarée à Oporto, en Portugal.