Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/668

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa vie. Combien nous aurions aimé, par exemple, à tenir de lui quelques renseignemens sur son séjour à la Conciergerie, pendant les plus tragiques journées de la Terreur ! Mais il n’a laissé ni journal, ni lettres ; et de son séjour à la Conciergerie, notamment, nous ne savons rien de plus que la date de son entrée et celle de sa sortie. Aussi n’aurions-nous pas pris la peine de tirer de l’oubli ce petit épisode de l’histoire révolutionnaire, si, à défaut de tout témoignage personnel, le marquis de Castellane n’avait rapporté de ses prisons un document d’une espèce assez rare. C’est une série de quatre-vingt-sept lettres écrites au prisonnier du Plessis, de la fin de thermidor au 21 vendémiaire, par trois personnes d’une même famille, un frère et ses deux sœurs, qui, durant tout ce temps, paraissent n’avoir eu de pensée que pour solliciter et obtenir sa mise en liberté[1].

Les lettres du frère sont signées : Courcelles. Une de ses sœurs signe : Clémentine Courcelles, l’autre signe tantôt : Julie Courcelles, tantôt : Veuve Raby. Au bas d’une de ses lettres, Clémentine ajoute à son nom la mention « artiste. » Et deux fois on trouve écrite, puis raturée, avant le nom de Courcelles, la syllabe Var…, ce qui porterait à supposer que Courcelles n’était qu’un faux nom, adopté par les correspondais de Castellane pour dépister les indiscrétions : hypothèse d’autant plus vraisemblable que les Courcelles, dans leurs lettres, emploient volontiers des précautions du même genre, écrivant, par exemple, « Lienta » pour Tallien, et « Narbo » pour Bonnard. Les lettres nous apprennent encore que les Courcelles ont un oncle député à la Convention ; qu’ils sont en rapports familiers avec quelques-uns des plus gros personnages du temps, Tallien, Louis David, Rouget de l’Isle, Legendre ; qu’ils demeurent, depuis vendémiaire, rue du Faubourg Honoré, 41, « la maison neuve après la rue de la République, à droite ; » et qu’ils connaissent Castellane depuis fort peu de temps. Ajoutons que tous trois sont jeunes, malgré le veuvage de Julie Raby, dont le mari meurt, précisément, durant le séjour de Castellane à la prison du Plessis.

Et voilà, à peu près, tous les renseignemens qu’on peut tirer de ces lettres sur les trois personnes qui les ont écrites. Qui étaient, au juste, ces trois personnes ? Quel lien les rattachait au

  1. Nous devons la communication de ces lettres, et de la plupart des autres documens qui nous ont servi pour cette étude, à l’obligeance de Mme la comtesse de Beaulaincourt, petite-fille du prisonnier du Plessis.