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déplorable, violent et glacial, qui ne nous épargne pas dès que l’on cesse un instant d’être abrité par les rochers.

A 7 heures du matin, nous sommes en route. Mais l’étape sera longue, très longue, si nous voulons gagner Irkechtam, et il n’y a pas de temps à perdre. Nous continuons, comme la veille, à descendre le cours du Terek, entre deux falaises de gneiss. Nous traversons deux fois la rivière, qui, dans l’intervalle de ces deux gués, reçoit sur sa rive droite un affluent torrentiel d’un volume presque égal au sien, le Sougst. Puis, à quatre kilomètres en aval de ce confluent, nous voyons les deux murailles rocheuses se rapprocher à tel point que, cette fois, le défilé semble vraiment sans issue. On se demande où peut bien passer la rivière. Il y a un passage pourtant, mais on ne le voit que lorsqu’on arrive tout près. Au pied d’un mur de rochers brunâtres, haut de plusieurs centaines de mètres, l’eau s’engouffre dans une fissure irrégulière dont elle bat les deux parois, et qui, dans certaines de ses parties, n’a pas plus de cinq pieds de large, sur une profondeur dépassant mille pieds. Le site rappelle, mais avec des proportions plus grandes, l’abîme de Pfæffers, près de Ragatz, classique en Suisse, et que traverse la Tamina. La nature géologique des roches diffère : ici, c’est du granit ; à Pfæffers, c’est du calcaire. Nous nous engageons dans ce couloir, où la lumière ne pénètre pas, car les parois n’en sont pas même verticales ; elles sont en surplomb, et le profil transversal de la crevasse est en zigzag. La largeur moyenne du fond, rempli par le courant, est de 8 mètres. En certains endroits, il n’y a que 1m, 50 : les deux bras étendus peuvent toucher à la fois les deux murailles : un chameau porteur d’une charge un peu volumineuse ne passerait pas. Bien entendu, nous sommes obligés d’entrer dans l’eau, et nous en avons jusqu’à la ceinture, toujours par 10 degrés au-dessous de zéro : il y a de quoi prendre un bon rhume. Mais le coup d’œil est splendide. Nous marchons pendant une centaine de pas dans le fond de cet abîme tortueux. Puis, les deux murailles s’écartent, et tout à coup, sortant de notre prison obscure, nous nous trouvons au fond d’une sorte d’entonnoir, inondé de soleil, parfaitement circulaire et profond de cinq cents mètres. L’eau s’échappe de là, comme elle y est entrée, par une fissure étroite. Mais c’est en vain que, mis en goût par le succès du premier essai, je veux m’engager dans celle-ci. Elle est tout à fait impraticable : elle n’a qu’un mètre de large et on ne passe pas, me disent mes hommes. Cet endroit