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qui, dans leur réserve discrète, ne les avaient peut-être pas intégralement appliquées.

D’ailleurs, lorsqu’on les compare les uns aux autres, ainsi qu’il est facile de le faire simultanément au Luxembourg, tout le monde pourra constater que les tons outrés des décadens qui sacrifient tout à la lumière, restent ternes et boueux.

Il y a deux sortes d’harmonies : celle qui procède par l’atténuation, l’adoucissement des tons fondus dans une gamme neutre, jouant surtout avec ce que nous appelons les valeurs ; l’autre qui attaque audacieusement les couleurs dans tout leur éclat, ne les accordant que par la justesse extrême des relations. Si les prétendus impressionnistes sont si criards, ce n’est pas qu’ils soient trop colorés, trop intenses, c’est parce qu’ils sont faux et qu’ils ne font pas chanter leurs couleurs dans le chœur harmonieux d’une juste orchestration. Il n’y a pas de violence de coloris qui soit absolument rebelle à cet accord. Si vos tons sont si criards, ce n’est pas qu’ils soient trop éclatans, c’est parce qu’ils sont mal opposés et qu’ils sortent de la logique des reflets ambians. La coloration de la lumière et du reflet qui ne devraient qu’illuminer, sans modifier leur apparence réelle, les objets de vos tableaux, semble leur appartenir en propre. Ce n’est pas le ciel bleu qui reflète en violet le cheval que vous peignez dans ce pré, c’est le cheval lui-même qui est violet sous votre pinceau. Il pourrait être plus violet que vous ne l’avez fait et ne pas le paraître. Pourquoi cette lavandière, dans votre soleil couchant, suspend-elle à la haie son linge qui est absurdement bleu d’un côté et rose de l’autre ? C’est parce qu’elle n’est pas dans l’air et sous le ciel qu’il lui faut. Mettez ce linge dans son milieu d’harmonie, et il vous paraîtra blanc, bien qu’il soit aussi bleu et aussi rose que tout à l’heure. C’est que dans ce dernier cas, le spectateur rend à César ce qui appartient à César, c’est-à-dire, au ciel, le bleu qui tremble sur le linge, et le rose au soleil qui l’éclaire. Cette perception de la couleur intrinsèque des objets persistant à travers la lueur illuminante est le plus grand charme de ces effets prestigieux et la preuve de la justesse de leur harmonie.

Donc, tant que vous restez dans la logique des rapports qui constituent l’harmonie, vous n’aurez rien à craindre de l’emploi des tons les plus violens. Non seulement ils ne hurleront pas, mais les profanes ne les verront pas plus qu’ils ne les voient dans la nature.