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d’écrire : « Il y a ici un homme plus petit que vous d’une coudée, et je vous jure mille fois plus galant. » Godeau eut tous les succès ; il fut même un bon évêque, à la surprise générale, et tout en restant, dit Sainte-Beuve, « l’évêque dameret de ce monde-là. »

L’hôtel de Rambouillet ne demandait aux gens de lettres d’autre passeport que l’esprit. Il caressait Sarrazin, malgré ses bassesses et ses friponneries, ses mariages ignobles et sa tournure ridicule, parce qu’il avait la repartie plaisante dans une conversation générale. Il protégeait l’encombrant Georges de Scudéry, espèce de capitan à la cervelle brouillée de vanité, qui fanfaronnait du matin au soir « la tête dans les nues, » vous rebattant les oreilles de ses ancêtres, de sa gloire, de ses tragi-comédies, de son poème épique sur Alaric, et croyant tout de bon avoir fait rentrer dans le néant Corneille et son théâtre. Il souffrait Colletet, Colletet le bon ivrogne, qui avait épousé successivement ses trois servantes, et n’avait même pas de talent pour se faire pardonner sa crasse et sa bohème populacière. On ne crée rien, même un salon, sans faire des sacrifices à son œuvre.

Il est impossible de tout nommer ; tous y passèrent sauf Balzac, qu’on y place d’ordinaire et qui ne pouvait pas y être ; il vivait au bord de la Charente et ne connaissait Arthénice que par lettres, Tallemant des Réaux l’affirme[1]. Dans cette foule aux doigts barbouillés d’encre, que peut-être, aujourd’hui, l’on passerait au crible, aucun du moins n’était le premier venu, et Mme de Rambouillet les mettait aux prises avec la fine fleur de la Cour et de la Ville en naissance et en mérite, avec tout ce qui était spirituel et gai, curieux et intelligent, obligeant les uns à s’accoutumer aux idées sérieuses, et à en parler sérieusement, les autres à jeter aux orties, avec leur défroque spéciale « d’autheur, » leur langage spécial et pesant de pédant pédantisant. La présence dans le « rond » de nombreuses jeunes filles complétait la révolution, en imposant aux causeurs le ton de la décence et de la bonne compagnie. Je ne compte point parmi les jeunes filles la belle Paulet, surnommée « la lionne » à cause du blond ardent de sa chevelure, personne extraordinairement aimable, mais d’un peu trop d’expérience, l’un des sauvetages de Mme de Rambouillet, qui l’avait repêchée, catéchisée, rendue à la régularité et à la considération. Je n’y range pas davantage, à aucun âge, la bonne Scudéry : « C’est

  1. Cf. M. Bourciez, loc. cit., p. 91.