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son propre architecte : « Un soir, après y avoir bien rêvé, elle se mit à crier : — Vite, du papier ; j’ai trouvé le moyen de faire ce que je voulais. — Sur l’heure elle fit le dessin[1]. » La disposition qu’elle venait d’inventer était si heureuse qu’elle fut imitée par toute la France. « C’est d’elle qu’on a appris à mettre les escaliers à côté[2] pour avoir une grande suite de chambres, à exhausser les planchers, et à faire des portes et des fenêtres hautes et larges et vis-à-vis les unes des autres. Et cela est si vrai, que la Reine mère, quand elle fit bâtir le Luxembourg, ordonna aux architectes d’aller voir l’hôtel de Rambouillet, et ce soin ne leur fut pas inutile. C’est la première qui s’est avisée de peindre une chambre d’autre couleur que de rouge ou de tanné ; et c’est ce qui a donné à sa grand’chambre le nom de Chambre bleue. »

Cette chambre fameuse, où le XVIIe siècle vint prendre « le ton juste de la conversation[3], » était disposée avec une science déjà consommée des exigences de sa destination. Le jour y était mesuré, les sièges comptés — dix-huit, pas un de plus — les groupemens facilités par des paravens. Des fleurs parfumaient l’air, des objets d’art caressaient le regard, l’ensemble avait un air de sanctuaire si caractérisé, que les habitués en parlent toujours comme d’un « temple, » y compris la Grande Mademoiselle, qui retenait ses grands gestes garçonniers et ravalait ses « imprécations » en passant le seuil de la Chambre bleue. Elle n’échappait pas à l’influence apaisante de la maison, et en acceptait la discipline avec la même soumission que le reste du monde. Mme de Rambouillet était à ses yeux « une chose adorable. » — « Je la crois voir, écrivait Mademoiselle[4] en 1659, dans un enfoncement où le soleil ne pénètre point, et d’où la lumière n’est pas tout à fait bannie ; cet antre est entouré de grands vases de cristal pleins des plus belles fleurs du printemps, qui durent toujours dans les jardins qui sont auprès de son temple, pour lui produire ce qui lui est agréable ; autour d’elle il y a force tableaux de toutes les personnes qu’elle aime ; ses regards sur ces portraits portent toute bénédiction aux originaux : il y a encore force livres sur des tablettes qui sont dans cette grotte ; on peut juger qu’ils ne traitent de rien de commun. On n’entre dans ce lieu que

  1. Tallemant.
  2. Dans un des angles du fond de la cour (note de Tallemant).
  3. M. Bourriez. L’Hôtel de Rambouillet, etc. Dans Petit de Julleville.
  4. Dans La Princesse de Paphlagonie, où Mme de Rambouillet s’appelle la déesse d’Athènes.