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par la paix, n’ayant rien à penser que des points de casuistique amoureuse, rien à faire que d’en disserter sous de tranquilles ombrages, parmi les richesses d’une campagne rendue à la sécurité, avec de belles dames vêtues comme eux de déguisemens champêtres ou mythologiques. C’était bien là le rêve qu’avait fait éclore tout au fond de leurs âmes la lassitude produite par la Ligue. C’était bien le repos réparateur dont la noblesse de province, décimée et ruinée par trente ans de guerres civiles et religieuses, nourrissait le désir dans le secret de son cœur, lorsqu’elle avait accepté, en acceptant Henri IV, la soumission à un principe d’autorité, supérieur aux intérêts privés et aux ambitions particulières.

La haute noblesse en eut vite assez de l’ordre et de l’obéissance ; elle n’a jamais été plus turbulente et plus indisciplinée que sous Louis XIII et pendant la minorité de Louis XIV. Il est à remarquer toutefois qu’elle n’apportait plus dans ses complots et ses soulèvemens la belle sécurité de conscience du temps jadis. Il en existe de curieux témoignages. Les princes ou seigneurs révoltés refusent désormais avec indignation d’admettre qu’ils ont pris les armes contre le Roi. C’est invariablement « pour se rendre utiles à son service » qu’ils lui font la guerre, ainsi que l’écrivait Gaston d’Orléans en passant à l’étranger ; c’est pour l’obliger malgré qu’il en ait, en le délivrant d’une tyrannie humiliante ou d’une influence pernicieuse. Même pendant la Fronde, alors qu’ils changeaient de parti comme de gants ou de chapeau, ils ne cessent pas de protester de leur fidélité au Roi, parce qu’il n’est plus dans les idées de la France que personne mette son caprice ou ses intérêts au-dessus des lois et de l’Etat, et parce qu’eux-mêmes, les descendans des grands barons, commencent à ne plus être aussi sûrs d’en avoir le droit. L’Astrée avait contribué à des scrupules aussi neufs, par les réflexions qu’elle avait suggérées à tout ce qui, en France, savait lire ou simplement causer.

Les « flots de tendresse[1] » auxquels le livre a dû son influence sentimentale sont bien fatigans à la longue. Le premier de nos romanciers psychologiques, devinant, ici encore, ce qu’il nous fallait, ne s’est intéressé qu’à une seule passion, l’amour. Il nous en a donné l’étude certainement la plus développée, et peut-être la plus subtile, qui existe dans notre langue. Toutes les

  1. M. Paul Morillot, loc. cit.