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d’Autriche, on l’avait interrogée elle-même comme une criminelle, et elle avait eu un tête-à-tête bien amer, dans sa chambre de Chantilly, avec un Richelieu qu’elle n’avait plus reconnu.

Il y avait alors une dizaine d’années que Louis XIII, entrant à l’improviste chez sa femme, avait interrompu la déclaration que lui faisait son ministre. Après Marie de Médicis, Anne d’Autriche : c’était évidemment un système, une politique où l’orgueil avait sa part ; le cœur aussi pour Anne d’Autriche, qui était jeune et belle, mais un cœur à la Richelieu, et il faudrait savoir à quoi cela ressemblait. Les historiens ne se sont pas donné la peine de nous le dire, parce qu’il y avait plus important à connaître, pour eux et pour l’histoire de l’Europe, dans un homme d’Etat de cette envergure. La vie sentimentale du cardinal de Richelieu ferait pourtant la matière d’un beau chapitre. Elle était violente et cruelle, comme toutes les passions qui hantaient cette âme tourmentée, comparée par Michelet à « un grand logis ravagé. » L’amour y était toujours doublé de haine. Mme de Motteville, témoin des procédés de Richelieu envers la Reine, n’en revenait pas de ses façons de plaire : — « Les premières marques de son affection, écrivait-elle, furent les persécutions qu’il lui fit. Elles éclatèrent aux yeux de tous, et nous verrons durer cette nouvelle manière d’aimer jusqu’à la fin de la vie du cardinal. »

Anne d’Autriche ne fut sensible qu’aux persécutions. Richelieu déplaisait aux femmes ; il avait la toute-puissance, la richesse, le génie, on le savait sans pitié dans la colère, et il ne pouvait seulement pas obtenir qu’elles fissent semblant de l’aimer. Elles se moquaient toutes de lui, même les Marion de Lorme, et Retz nous en a livré la raison : « N’étant pédant en rien, il l’était tout à fait en galanterie. » C’est une chose que les femmes ne pardonnent pas. La Reine détesta Richelieu et le lui fit sentir. Il tint sa vengeance avec l’affaire du Val-de-Grâce. Après un pareil éclat, après qu’on avait prononcé le gros mot de trahison, il dépendait de lui de faire renvoyer honteusement en Espagne cette reine stérile. Il se donna le plaisir de la voir à sa discrétion, affolée, résignée à en rabattre de son ancienne hauteur, et de la dédaigner avec des affectations de respect parfaitement insultantes dans la circonstance. De peur que la postérité n’en ignorât, il a retracé de sa propre main[1] la scène qui avait été si délicieuse à sa vanité blessée.

  1. Relation de ce qui s’est passé en l’affaire de la Reyne au mois d’août 1637 sur le sujet de La Porte et de l’abbesse du Val-de-Grâce. Cette pièce se trouve à la Bibliothèque nationale.